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nouveaux, tant d’hommes, tant d’idées étaient sortis de terre ! Mais si le monde officiel, si la société républicaine, obéissant à d’autres directions, semblaient indifférents à cette haute figure du passé, chez les Arabes et dans l’armée on se souvenait. L’élan de la souscription en témoigna : le patriotisme des uns, la reconnaissance des autres assurèrent, des plus petites sommes aux plus généreuses, le général de Galliffet en tête, la réalisation du monument : un groupe du sculpteur Lefeuvre sur piédestal de l’architecte Lucien Leblanc.

En juin 1884, ma mère, mon frère et moi assistions à cette apothéose. Nous avions pris, de Paris à Etain, les secondes, — cette dépense en était une pour nous, — et l’on nous attendait, nous le vîmes, à la descente des premières.

Nous recevons, un peu perdus et dépaysés, l’affectueuse hospitalité du maire, M. Cahart ; depuis tant d’années, nous vivions éloignés du monde officiel ! Qu’était-il resté à notre mère de tous ceux qui entouraient son bonheur et qui respectaient, avec une délicatesse excessive, la solitude de son deuil ?

Dans cet entourage d’honneur, préfet, général, chefs arabes, sénateurs, députés, nous cherchons, pour nous gratifier d’un regard ami, les figures familières de l’ancien officier d’ordonnance, Révérony, de l’ancien aide de camp, Handerson. Eux seuls et un vieux chef arabe que notre père appréciait, et que les jeunes caïds de grande tente et de sang noble tiennent à l’écart pour sa roture, eux seuls nous unissent au passé que commémorent discours et fanfares, devant le groupe de bronze où notre père blessé, soutenu par un chasseur d’Afrique, se redresse, l’épée au poing, lançant la charge.

J’entends la voix sonore du général Février, les paroles émues de Révérony, la harangue éclatante de Paul Déroulède. Le 6e chasseurs, amené spontanément par son colonel, défila par quatre, et, ç hauteur de la statue, toutes les têtes se tournent vers elle, pour le salut du regard.

Impressions confuses d’une grande journée, à laquelle j’assiste, à la fois heureux, timide et ému, depuis la messe solennelle jusqu’au banquet suivi de toasts et d’un feu d’artifice. Je revois la figure spirituelle du colonel Lichtenstein, représentant le Président de la République ; l’affabilité sereine du sénateur Henry Didier, à qui notre mère devra, parce qu’il s’offre à réparer le long oubli du gouvernement et du pays, le