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trois villes sont du reste sur la rive gauche. Dans l’hypothèse d’une neutralisation de la rive gauche du Rhin, ces places fortes devraient être tout au moins évacuées, sinon démantelées. » Mais il y aurait mieux à en faire. On assurerait une force extraordinaire à la barrière du Rhin, si l’on pouvait faire de ces trois places des places fédérales, — disons interalliées, au sens des alliances annoncées; — trois places occupées par les troupes de l’Entente, comme l’a été Luxembourg pour la Confédération germanique avant 1867. Dans ce cas, le Rhin formerait pour la France une barrière défensive de tout premier ordre.

La puissance offensive de l’Empire allemand serait entièrement annihilée, et toute l’Europe occidentale assurée de la paix: surtout si le système était complété par la possession ou le commandement des trois têtes de pont, sur la rive droite, de Castel, d’Ehrenbreitstein et de Deutz. La conclusion est toujours la même : la même pour la paix de l’Occident, et par conséquent pour la paix universelle, et pour la simple sécurité de la France. Non seulement le Rhin, frontière militaire, serait la plus forte garantie de la paix; mais il en est la même condition sine qua non. Entre une frontière inviolable et une alliance indispensable, la question ne saurait être posée sous la forme d’une alternative; il n’y a pas de choix à faire, il n’y a qu’à se retrancher derrière l’une et à se fortifier mutuellement par l’autre. Quel qu’un l’a justement noté : ce n’est pas une bonne frontière ou des alliances qu’il faut dire ; c’est une bonne frontière et des alliances. Deux précautions valent mieux qu’une, et contre l’éternelle Allemagne, les deux ne seront pas de trop.

Resterait la question des réparations et des indemnités. Mais elle est encore pleine d’incertitudes. Les comptes sont encore à arrêter, et les mêmes mots à définir. Nous attendrons, pour en traiter un peu plus à fond, d’en connaître un peu plus long. Attendre? Que faisons-nous d’autre, depuis cinq mois? Nous tous, les gouvernements, les parlements, les peuples; et nous pouvons bien, selon nos penchants et les heures, nous recueillir pour nous apaiser ou nous agiter pour nous étourdir; mais nous respirons mal, nous respirons court, et nous avons au cœur une secrète angoisse. Dieu veuille que ce ne soit que l’angoisse de ne pas savoir, et qu’elle soit dissipée dès que nous aurons su !


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant : RENE DOUMIC.