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a ses raisons. Elle l’aime peut-être seulement parce qu’elle en est passionnément aimée et pour un obscur attrait qu’elle trouve en lui. Elle lui permet de l’aimer et même elle le lui demande et le souhaite de toutes ses forces ; mais elle lui répète une fois de plus qu’elle ne sera pas sa maîtresse, comme une fois de plus il vient de l’en supplier, ce sujet étant le thème habituel de leurs conversations. Mariée, elle ne faillira pas à ses devoirs d’épouse. Mère de famille, elle se consacre à ses enfants. Croyante, elle suit les préceptes de la religion. Enfin, et d’un mot qui dit tout, elle ne sera pas sa maîtresse parce qu’elle est une honnête femme.

Une honnête femme, la femme qui prend avec cette aisance ces arrangements extra-conjugaux ? Jamais de la vie ! Et ce serait trop commode. Alors, à son mari, à ses enfants, à sa religion elle donnera strictement leur dû, et puis tout le reste, le meilleur d’elle-même, l’intimité de son cœur et de sa pensée, elle le gardera pour Julien ! Elle le verra aussi souvent, aussi secrètement qu’il voudra et qu’ils pourront ! Ce seront de longs apartés, des colloques passionnés où elle connaîtra l’ardente volupté d’être sollicitée et de se refuser ! Sûre d’elle-même, et pourtant avide d’être troublée, elle côtoiera l’abîme et se donnera la sensation du danger ! Non, la qualité d’honnête femme n’est pas à si bas prix. Non, l’honnêteté n’est pas compatible avec ces complaisances et ces compromis. L’amour coupable ne l’est pas seulement à l’instant de la faute et par elle. Au surplus, cet art de donner de soi tout ce qui n’est pas le don suprême et d’éveiller toutes les ardeurs de la passion en s’arrêtant seulement à l’instant de les satisfaire, c’est un manège que la littérature a déjà décrit et sans prétendre qu’il soit le plus méritoire effort de la vertu. Frédérique est à une honnête femme ce qu’est une demi-vierge à une jeune fille. Son pur amour est une variété de l’adultère, quintessenciée et équivoque, l’adultère blanc.

Aussi lorsque la mère de Julien vient reprocher à Frédérique le rôle néfaste qu’elle joue dans la vie de celui-ci, sommes-nous entièrement de son avis. Julien ne travaille plus ; il est triste ; il est nerveux : qu’est venue faire cette matrone dans l’existence de ce jeune homme ? A quoi peut aboutir cette intrigue sans issue ? Mme Bocquet est tout le contraire d’une esthète. Simple employée de commerce, petite bourgeoise tout près du peuple, elle est l’interprète du bon sens bourgeois, elle parle au nom de la raison populaire. Nous ne lui faisons qu’un reproche, c’est de ne pas exprimer ces choses excellentes avec plus de rudesse, voire de brutalité. Nous eussions aimé