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REVUE LITTÉRAIRE.

De tels raisonnements vous mènent au gré de votre fantaisie. Mais de tels raisonnements, qui flattent vos désirs, ne changent rien du tout à la réalité, qui se moque de vos désirs. Le néo-darwinisme n’explique pas la naissance de la première cellule. Le néo darwinisme n’explique pas le passage du monde inorganique au monde vivant : « avec de la matière inerte on n’a jamais pu faire la moindre particule de protoplasma vivant. » Le néo-darwinisme n’explique pas le passage de la vie à la pensée. Le néo-darwinisme n’a aucunement démontré que l’homme ne fût pas une « espèce fixée » depuis des siècles ou depuis toujours. Entre le néant et la première cellule, entre le monde inorganique et le monde vivant, la vie et la pensée, le reste de l’univers et l’homme, le néo-darwinisme laisse de grands espaces vides et laisse une solution de continuité qui est la négation même de la doctrine.

Le néo-darwinisme ne procède pas scientifiquement : toutes les bonnes règles de la méthode, il les néglige. Et il arrange son roman biologique avec une liberté ridicule, avec une liberté scandaleuse, étant donné qu’il se présente comme la science parfaite en lutte contre l’imagination philosophique ou religieuse. Le triomphe du néo-darwinisme et l’invasion néo-darwinienne seront, dans l’histoire de la pensée contemporaine, l’une des aventures les plus regrettables et qui auront fait le plus grand tort à la recherche sérieuse et attentive de la vérité. Cette aventure parait toucher à sa fin. Mais il faudra longtemps pour supprimer les idées fausses, pour retrouver les idées justes et, généralement, pour réparer les dégâts d’une campagne qui a été conduite avec audace et violence, avec habileté, sans nul retardement de scrupules scientifiques ou de bonne foi.


André Beaunier.