Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/221

Cette page a été validée par deux contributeurs.
217
REVUE LITTÉRAIRE.

d’abord était une hypothèse d’histoire naturelle et qui a tout envahi, les autres sciences, la philosophie, la sociologie et le reste. Elle n’était qu’une hypothèse : et, comme hypothèse, elle avait tout juste la valeur des faits qui paraissaient la motiver. Il fallait examiner avec beaucoup de soin les faits et voir s’ils confirmaient ou s’ils démentaient l’hypothèse. Au lieu de quoi, les savants ont mené ailleurs, ont mené partout, l’hypothèse et l’ont présentée comme une incontestable certitude. Est-ce qu’ils n’avaient aucun doute ? Ils cachaient leur doute : il y a là de l’étourderie et, quelquefois, de la supercherie. Un Kassowitz, qui reconnaît qu’il n’aurait pas lancé contre le darwinisme une petite objection tandis que le darwinisme servait de machine de guerre, était un polémiste et n’était point un savant. Les autres ? Les autres, qui déclarent que les faits n’importent pas beaucoup et que, les faits réduits à rien, la doctrine subsisterait, qu’est-ce que c’est que leur méthode scientifique ? Darwin, imprudent déjà, les avertissait pourtant, les conjurait de rester dans l’histoire naturelle et de craindre la philosophie. Mais il n’a pu les retenir. Ils sont partis pour la conquête universelle, apôtres forcenés, malins, retors et, souvent, apôtres farceurs. Ils étaient animés d’une ferveur étrange et surtout d’une haine étrange. Ils aimaient leur évangile imparfait, leur évangile bâclé ; surtout, ils détestaient furieusement les évangiles antérieurs. On les a pris pour des bâtisseurs pleins d’entrain : surtout, ils ont été de frivoles démolisseurs.

MM. Delage et Goldsmith, après avoir montré comment le darwinisme est sorti de son « domaine propre, » célèbrent « la portée immense de l’idée de l’évolution » et ajoutent : « C’est aux sciences naturelles que la pensée humaine en est redevable ; jamais en effet la philosophie transcendante ni même les sciences exactes n’auraient pu donner naissance à cette idée et lui assurer le triomphe ! » Assurément. Reste à savoir si le triomphe du darwinisme, sorti de son domaine propre et qui envahit toute la pensée humaine, est légitime. Et c’est la question que pose le professeur Grasset. Pour que cette hypothèse d’histoire naturelle devienne la philosophie générale, dit-il, cette hypothèse a plusieurs conditions à remplir. Elle doit montrer que, formulée relativement à quelques espèces d’un ordre inférieur, elle s’applique à toutes espèces de l’ordre le plus élevé, même à l’espèce humaine. Elle doit expliquer le passage d’une espèce à une autre. Elle le fait, — et admettons qu’elle le fasse le mieux du monde, — quand il s’agit, par exemple, de deux espèces végétales très voisines. Mais a-t-elle expliqué le passage de l’animalité à l’humanité, la