Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas toujours sans ironie. Il les pèse, il les trouve de faible poids, et, sans paraître étonné, il continue son travail. Mgr d’Hulst, à la fin de sa vie, était attristé de la méchanceté humaine, et enclin à la mélancolie. Quels que soient ses sentiments secrets, son successeur paraît d’une autre trempe. M. Marcel Prévost fera tout à l’heure allusion à l’article généreux et imprudent par lequel Mgr d’Hulst, vulgarisant ce qui n’était pas susceptible de l’être, résuma pour le grand public les idées de M. Loisy et déchaîna les tempêtes. Il est peu vraisemblable que Mgr Baudrillart cède à de semblables entraînements. Il paraît exempt de rêverie et je ne crois pas qu’il aime beaucoup les rêveurs. La prudence chez lui précède la décision. Dans des circonstances très difficiles, il a manœuvré avec beaucoup de diplomatie. Il a dû parfois sacrifier les hommes. Il a lutté, il a sauvé son œuvre, et il a, en gouvernant fortement, mais selon les circonstances et selon les gens, mené à une grande prospérité cet Institut catholique qui a compté parmi ses professeurs des Lapparent, des Branly, des Rousselot, et qu’il a lui-même illustré autant que personne.

Le voici à la place du récipiendaire. Il se tient debout dans une immobilité austère. Le manteau violet couvre aux épaules la soutane noire. Mgr Baudrillart lit d’une voix forte et timbrée. Il ne fait pas un geste. En chaire, il n’en a qu’un, un mouvement vertical de l’avant-bras. Il a fait juste le discours qu’il devait faire : une étude forte et nourrie sur Albert de Mun. Dans l’auditoire, ceux-là même qui étaient les moins enclins à ces études, étaient captivés et chuchotaient : « C’est très intéressant. » Après le tableau charmant de la jeunesse, il a montré avec soin, par les textes et par les faits, comment la vocation du comte de Mun s’était formée : il a dit les rencontres décisives, la marche des pensées, les résultats atteints. Il a fait paraître, avec beaucoup de force et de clarté, le rôle de ce précurseur. Par moments une large période, chaleureuse et vraiment digne du sujet, arrachait les applaudissements. Il en est venu enfin aux derniers mois, à ces articles qui tous les jours, jusqu’au 5 octobre 1914, ont soutenu des milliers de Français et coûté la vie à celui qui les écrivait. Il a été ainsi amené à rappeler dans un tableau émouvant les premières semaines de la guerre, et la Marne. À ces mots, l’assemblée a, une fois de plus, salué le vainqueur de ces grands jours, qui était là en petit uniforme et dont la figure est déjà populaire sous la coupole. Et il faut assurément que cette bataille de la Marne soit un événement qui grandit encore à mesure qu’on s’en éloigne, puisqu’il domine pour ainsi dire tout notre horizon, et qu’on