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quelques-uns avec une chaîne d’argent au cou, vont et viennent, disposant pour le mieux les sièges et les tables, remuant sans fracas les chaises dorées, les fauteuils aux pieds ciselés.

Tout ce personnel, admirablement stylé, manœuvre avec une- irréprochable correction, sous les ordres d’un état-major de jeunes diplomates fort élégants, encore mobilisés, et dont les vareuses bleu horizon ou khaki ont traversé, avant l’armistice, des épreuves attestées par la couleur des fourragères, par les palmes et les étoiles des Croix de guerre ou par l’insigne distinctif des blessés. Si l’on n’était ramené à la méditation des terribles réalités d’hier et d’aujourd’hui par la vue de toutes ces marques de l’honneur militaire, de la gloire et de la douleur, on serait presque tenté d’oublier, dans l’atmosphère tranquille de cette séance, les péripéties de l’épouvantable drame qui a motivé la réunion de tous ces hommes d’Etat, appartenant aux pays les plus différents, aux races les plus diverses. Si le monde entier se résume, pour ainsi dire, dans l’espace des quelques mètres carrés que mesure cette salle, c’est qu’une catastrophe universelle vient d’affliger le genre humain. C’est aussi que, selon le mot d’un de nos plus grands poètes,

Une immense espérance a traversé la terre.

On se souvient des jours terribles de la guerre toute récente. On songe aux quinze cent mille croix de bois qui désignent, sur notre territoire dévasté, les tombes françaises. La vision de nos villages ravagés, de nos cités martyres, de nos populations décimées par la déportation en masse, par les massacres, par les maladies, évoque tout à coup un spectacle tragique dans le paisible et somptueux décor de cette salle richement décorée, délicatement ornée, où la jolie lumière d’un jour de printemps, entrant par les larges vitres de trois hautes fenêtres, fait miroiter les glaces encadrées d’or, luire doucement les boiseries blanches, filetées d’or, rire les couleurs fraîches des tympans et des trumeaux rehaussés d’azur, et scintiller comme des diamants à facettes, les pendeloques des lustres de cristal… Si cette salle contient aujourd’hui l’élite politique et diplomatique de toutes les nations civilisées ou qui aspirent aux bienfaits de notre culture ; si ces hommes graves, tous illustres chez leurs concitoyens, tous respectés, amicalement accueillis chez les Français, se sont réunis là, venus des points les plus