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douleur et son déchirement ? Avant de partir, elle avait offert à monseigneur saint Denis son armure et une épée. L’épée demeurait dans une chapelle du sanctuaire, ex-voto consacré. Avec elle, pourtant, sur le chemin de la retraite, elle en emportait une autre, non pas battante à son flanc, mais plantée dans sa poitrine.


LE BORD DE L’OISE A COMPIÈGNE

L’automne s’est achevé. L’hiver a passé. Jeanne s’est usée à des besognes secondaires dont elle a obtenu la direction. L’une a été brillante, la prise de Saint-Pierre-le-Moutier, à la lisière du Bourbonnais, l’autre désastreuse, l’échec devant la Charité-sur-Loire. On la trouve, au retour du printemps, installée au château de Sully, en compagnie du Roi qui séjourne chez le grand chambellan son favori. L’armistice bourguignon, prolongé de trois mois encore, jusqu’en mars, n’a pas été renouvelé à l’échéance : la comédie était achevée. Mais l’entourage royal ne semble avoir aucune entreprise en vue. Il parait excédé de la campagne précédente et ne rien envisager pour l’heure qu’un programme d’inertie.

Jeanne d’Arc s’échappe de Sully, comme un prisonnier qui n’a pas donné sa parole et peut opter pour l’évasion. Elle sort, un jour, pour aller « en aucun ébat » dans la campagne, et ne reparait pas. Qu’espère-t-elle encore ? Sa dévouer. Agir et su dévouer jusqu’à la mort. Le temps n’est plus d’une armée qui marchait avec elle, attentive à ses intentions. Aux villes qu’elle vient secourir, elle n’apporte plus que son renom, et quelques compagnies qui la suivent on ne sait guère à quel titre. Mais l’esprit de sacrifice est en elle, irrésistible, jusqu’à la fin.

Une tâche semble s’offrir. Elle est urgente et noble. Il s’agit de sauver Compiègne, la conquête de l’an dernier, maintenant menacé comme Orléans naguère, Compiègne dont la chute ferait perdre tout le pays d’Outre-Seine si précieusement recouvré l’an passé. Voilà pourquoi, vers la mi-mai, elle arrive aux bords de l’Oise. Elle n’a plus qu’une semaine à vivre. Car elle ne compte plus ici-bas, dès qu’elle tombe captive sur la prairie funeste.

Jeanne d’Arc ne fut pas trahie, à Compiègne, par Guillaume de Flavy, capitaine de la cité, le jour amer de la sortie néfaste,