Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’on se figure Jeanne d’Arc, au camp de La Chapelle, la veille de l’assaut de Paris. Le roi, venu de Compiègne à Senlis, puis de Senlis à Saint-Denis, contre l’avis du groupe de Bourges, et sans rien faire qui satisfasse le parti de l’action, se tient à l’abbaye, soupçonneux, mécontent et aigri de son rôle. Le camp se dresse aux abords du village, à portée du grand chemin qui mène au pied de la muraille parisienne. Là se groupait une bourgade rustique, aujourd’hui quartier haut bâti de la grande ville, où la route campagnarde est maintenant rue passagère et artérielle. Son église, remaniée, mais survivante, a vu Jeanne à genoux s’abîmant dans sa prière[1]. Il subsiste là dans cet humble sanctuaire des colonnes auxquelles elle a pu s’appuyer suppliante. Paris devrait mieux les connaître et les vénérer comme des reliques.

C’est à La Chapelle qu’elle est ramenée, le soir de l’attaque infructueuse, le huit septembre, vers minuit peut-être, blessée, fiévreuse, mais ne voulant pas renoncer encore. Devant la porte Saint-Honoré, au pied de la butte qui domine alors ce secteur du rempart, elle s’est tenue tout le jour, activant le combat et s’exposant à tous les coups, boulets et vols de flèches. Au coucher du soleil, elle a reçu le carreau d’arbalète qui s’est fiché dans son corps. A. la nuit close, seulement, on a pu la décider à quitter le bord du fossé. Qui voudrait essayer, dans le Paris de nos jours, de reconnaître en pleine ville ce lieu de sa Passion, doit s’isoler en pensée, dans le fracas et le tapage, entre la rue qui conserve le nom de la porte et les abords de la place que longe le palais moderne, en un point où les transformations et les voies neuves ont effacé les alignements et les repères que nos aïeux purent y apercevoir encore[2].

Lorsque le lendemain, s’obstinant à vouloir espérer contre l’espérance, on la ramena de force de La Chapelle à Saint-Denis, lorsque, le jour d’après, fut démonté par ordre le pont de bateaux qu’elle avait fait jeter sur la Seine pour essayer de réitérer contre Paris par l’autre rive l’attaque manquée sur le côté droit du fleuve, lorsque, trois jours plus tard, elle reprit la route avec toute l’armée, pour refaire sans volte-face les étapes qui reconduisaient à la Loire, de quels mois peindre sa

  1. Adrienne Cambry, Jeanne d’Arc à Paris : l’église où elle pria. (Le Correspondant du 10 mai 1910.)
  2. Études et plans de M. Emile Eude.