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prodigieuse, la plénitude éphémère d’un bonheur innombrable. Elle était à Reims. La chose était faite, n’était plus à faire. La jeune fille qui disait, au bord d’un champ du val de Meuse, voici treize mois à peine, qu’elle ferait sacrer le dauphin Charles, dans l’année qui venait, avait conduit le prince jusqu’au temple, et le prince y devenait roi, et cela sauvait le pays de France. Pendant les heures interminables où se succèdent les rites, de l’heure de none jusqu’à l’heure de vêpres, de neuf heures du matin jusqu’à deux heures après midi, son cœur accablé put enfin goûter l’oasis et la fraîcheur de l’eau.

Mais avant la fin du jour, l’ambassade bourguignonne entrait dans la ville. Les négociateurs arrivaient. Avec eux, tout allait se pourrir et se perdre.


LES ARMES QUI TOMBENT

On devait, le lendemain, se remettre en marche, en direction de Paris. En fonction de l’arrivée des Bourguignons, le départ est reculé de trois jours. Une conférence s’organise. Dans un beau corps victorieux, le poison vient de pénétrer. Ses ravages vont apparaître.

A Reims, Jeanne d’Arc est déjà acquise à la légende. Une curieuse série d’échos relatifs aux bruits plus ou moins fabuleux courant sur elle nous a été conservée. On peut en extraire le suivant, qui présente un caractère de grâce touchante. La seule version qui en subsiste est une version allemande contemporaine, qui figure dans un manuscrit strasbourgeois. Traduite en français, elle eût à peu près reçu la forme suivante[1].

Il s’agit du passage de Jeanne et de l’armée aux environs de Reims, à travers le vignoble saccagé par la cavalerie, mais produisant à nouveau fleurs et fruits, de façon merveilleuse, par le fait de la Pucelle.

« Item, quand le roi fut sacré à Reims, lors se trouva très forte gent autour de la cité, dehors parmi les vignes, et gâtèrent tout le vignoble avec leurs chevaux et autrement. Et quand le roi s’en partit et tira outre, peu après se relevèrent derechef toutes les vignes, et fleurirent toutes d’une autre pousse, et portèrent plus de raisins qu’avant. »

  1. Les Sources allemandes de l’Histoire de Jeanne d’Arc.