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le parti de Bourgogne. Toute solution par les armes contrecarra ses préférences et ses plans.

Dix jours à peine après le grand jour d’Orléans, Jeanne s’est rencontrée avec cette opposition captieuse. Ce fut la scène de Loches. Dunois, le loyal Dunois, l’a racontée. Jeanne supplie qu’on se mette en route pour Reims, qu’on profite du coup d’enthousiasme qui transporte les Français. Elle se jette à genoux. Elle est tragique à voir.

Elle obtient l’organisation de la campagne de nettoyage de la Loire, avec pour objectif la prise des places où se maintiennent les Anglais, sans être inquiétés, depuis leur retraite d’Orléans. La bataille de Patay, qui s’engage alors par hasard, en compose un incident fortuit, gros de conséquences, glorieux, personnel et superbe.

C’est là que, la première, parlant des ennemis d’alors, sous le ciel de Beauce où le vent balaye les nuages, elle dit le mot fameux : « Nous les aurons. »

Mais après Patay[1], après le tardif nettoyage de la Loire, se pose avec plus d’insistance encore la question du sacre. Le souverain se tient alors à mi-chemin d’Orléans à Gien, au château de Sully, récemment recouvré sur l’ennemi, sans destruction ni dommage, chez son favori le grand chambellan. Jeanne se dépense à faire presser le départ pour Reims, moins inquiète des dangers de la route que de la volonté royale à fixer. Alors se passe la scène de Saint-Benoit-sur-Loire[2]. À cette explosion d’angoisse au lendemain de Patay, on peut mesurer le supplice secret qu’elle endure. Le tableau pourrait s’intituler : Les Larmes devant le Roi.

Saint-Benoît-sur-Loire est un lieu qu’une antique abbaye rend célèbre, entre Jargeau et Sully. Jeanne y rejoint le prince. Elle sent le succès certain, si l’armée seulement se met en marche de Gien sur Auxerre. Encore faut-il obtenir l’ordre. Le roi la voit, fébrile, s’épuisant a la peine. Et pour encouragement, quand elle ne rêve que d’agir, de lui faire passer dans le cœur un peu de ce qui fait déborder le sien, il lui conseille le repos. Le repos, dans le moment qu’il faudrait se trouver aux

  1. Comment Jeanne d’Arc a dit : « Nous les aurons. » (Journal des Débats, 13 juillet 1916.)
  2. Pour ce qui suit, déposition de Simon Charles, président de la Chambre des Comptes, au Procès de réhabilitation.