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gîte à ribaudes Ainsi courent de bouche en bouche les échos et les bruits[1].

Lorsque, l’ennemi disparu du pays, les gens de Domremy reprirent la route du retour, ils aperçurent, en approchant du village, à la place de mainte maison, des poutres noires et des décombres. L’incendie avait passé là. L’église, endommagée ou profanée, se refusait même au culte. C’est au sanctuaire de Greux que Jeanne, entre autres fidèles, doit alors aller porter sa prière. Du haut de la Côte de Grâce, les toits calcinés faisaient une tache affreuse dans ce qui restait des vergers[2].

Octobre survient. Le siège d’Orléans commence. De Vaucouleurs, où l’on est renseigné de temps à autre, la nouvelle s’en répand. Les voix deviennent plus pressantes. Deux ou trois fois par semaine, à présent, elles se font entendre, elles insistent. Même elles se mettent à formuler des précisions redoutables. Fille de Dieu, le siège d’Orléans, c’est elle qui doit le faire lever. Le Roi, qui n’est pas encore vrai roi, c’est elle qui doit le conduire à Reims. Tout le royaume, c’est elle qui doit le délivrer. C’est pour ces besognes-là qu’elle doit aller en France, aller en France, aller en France. Et, pour accomplir le voyage, pour se faire donner une escorte, il faut qu’elle se rende à Vaucouleurs, qu’elle parle au commandant. A Vaucouleurs, elle saura le convaincre. Mais, pour Dieu, qu’elle soit d’abord à Vaucouleurs !

« Je ne pouvais plus tenir où j’étais, » dira-t-elle, suppliciée par l’ordre qui l’appelle et le geste à faire pour assurer son départ. Pourtant, elle s’arrache de Domremy. Elle se déracine de tout ce qu’elle aime, de tout ce qui l’a aimée jusque-là. Ses parents quittés, elle aperçoit une dernière fois, de la route qu’elle prend, le clocher, le bois de chênes, le beau hêtre, et puis le sentier qui monte à la chapelle de Bermont. D’un suprême embrassement des yeux, elle dit adieu, pour toujours, à la Côte de Grâce.


LA MAISON DE BUREY-EN-VAUX

Elle partait, sans avoir osé se confier à son père ou à sa mère. Tourment affreux de sa conscience et de son cœur. Pour

  1. Voir notamment la si curieuse chronique, le Livre des Trahisons de France envers la noble maison de Bourgogne. Cf. Procès, articles d’accusation, art. VIII.
  2. Tiré et déduit des textes du Procès.