Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accourue pour honorer les défenseurs de l’ordre. Tout le gouvernement était là, Kerensky en tête. Le métropolitain et le clergé au grand complet officièrent. Après un éloquent adieu aux morts, le cortège se mit en marche. Des députations sans nombre accompagnaient le convoi. Rodzianko et beaucoup de membres de la Douma étaient venus : Roditcheff portait une grande couronne. Des brassées de fleurs recouvraient les cercueils de leur moisson odorante. Des fleurs, des fleurs à perte de vue : elles veillaient les chers disparus. Dans un profond recueillement, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants marchaient derrière les chars. Une vague de ferveur religieuse passait sur tout ce monde intellectuel, généralement sceptique ou indifférent. Une atmosphère de mysticisme et d’espoir, pour que le sacrifice de ces enfants du Don et du Kouban ne fût pas inutile, enveloppait la terre, tandis qu’un radieux soleil brillait au ciel. Devant les principales églises… le murmure des prières se mêlait au carillon des cloches. Des passants se joignaient sans cesse au cortège. Quand il arriva au couvent Alexandre Nevsky, il s’était transformé en une véritable mer humaine. On avait creusé là un vaste caveau où devait plus tard s’ériger une chapelle ardente. Et des fleurs, toujours des fleurs. Les cercueils y furent descendus, la panikhida commença. Le silence n’était coupé que par le bruit des sanglots. Quand les chantres entonnèrent, de leurs voix profondes et harmonieuses, le Vetschnaia Pamiat. « Mémoire éternelle, » tous les assistants tombèrent à genoux. Et, prosternés, ils redisaient les mêmes paroles. L’écho répéta ce dernier adieu de la terre, et dans l’air vibra comme une litanie éternelle : Vetschnaia Pamiat ! Veischtnaia Pamiat ! Vetschnaia Pamiat ! Une croix provisoire fut plantée dans le sol, avec une lampe de tabernacle qui brûlait doucement. La brise était saturée du parfum des roses et des jasmins qui tapissaient cette dernière retraite. Par la lourde journée d’été, ce souffle embaumé caressait avec tendresse les fronts brûlants et les yeux des mères et des épouses que les larmes avaient ravagés.

La foule s’écoula en silence. Mais, longtemps après, à toutes les heures du jour, des prières furent dites sur cette tombe des Cosaques. Au loin, dans les stanitsa natales, en évoquant le courage et les prouesses des morts, les vieux Cosaques et