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— L’entrée est par la porte Saltikoff, ajouta respectueusement l’aide de camp…

En vérité, cette vieille femme était plus arrogante que les têtes couronnées : elle n’avait ni les manières affables, ni la bonté d’une véritable souveraine.

La revue commença sans le ministre de la Guerre qu’on avait vainement attendu. Les mutilés défilèrent devant le général avec une belle allure martiale ; ceux mêmes qui portaient un appareil tâchaient de boiter en mesure et se raidissaient pour avoir meilleure prestance. Quand le drapeau leur fut remis, la Brechko Brechkovskaïa descendit parmi eux et prononça une longue harangue, qui parut les enchanter. Puis elle leur donna son mouchoir qu’ils se partagèrent en guise de souvenir. Et s’étant rassise au fond de son carrosse, elle partit au milieu des hourras.

Pour moi, quel que fût mon désir d’obliger les invalides, je ne pus vaincre ma répulsion ; je n’allai pas au Palais d’hiver pour y être reçue en audience par la grand’mère de la Révolution russe. Elle portait un fichu au lieu d’un chapeau, mais cela ne l’empêchait pas de prendre des airs de reine en tournée officielle. Cette parodie m’écœurait.


VI. — LA CÉRÉMONIE EN L’HONNEUR DES COSAQUES

Les journées des 3 et 5 juillet furent marquées par de graves désordres bolcheviks. Toutes les troupes sur lesquelles le gouvernement comptait se tenaient prêtes. Les premières qui sortirent dans la rue furent les Cosaques. Au Liteiny prospekt et sur le pont conduisant à la Viborskaïa storona, une vingtaine d’entre eux furent tués, d’autres blessés. Grâce à leur intervention, l’ordre put être rétabli. Ces braves étaient morts pour nous, habitants de la capitale : le clergé et les intellectuels décidèrent d’assister à leurs funérailles : elles prirent les proportions d’une grandiose manifestation patriotique.

La veille au soir, les dépouilles mortuaires avaient été transportées de l’hôpital à la cathédrale Isaac, où devait avoir lieu la cérémonie funèbre. Dès le matin, les cloches, de leur voix grave, appelèrent les fidèles à la prière. Les rues étaient noires de monde. Les immenses nefs de l’église aux colonnes de porphyre et de lapis-lazuli ne pouvaient contenir la foule