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de patriotisme, qui roule de gradins en gradins, submerge la salle. Rodzianko parle maintenant d’une voix tonnante au milieu d’un enthousiasme indescriptible.

Quand le calme se rétablit, le président donne la parole à Henderson. Malheureusement, son discours ne nous arrive qu’à travers la traduction d’un interprète, ce qui lui fait perdre beaucoup de son action. Le ministre anglais exhorte les ouvriers russes à renoncer provisoirement à tout ce qui est grèves et discussions sur les heures de travail. Ils doivent songer uniquement à la. défense nationale : de la quantité de munitions qu’ils fabriqueront dépendra le sort du pays, avec celui de plusieurs millions de combattants. Chaque heure de travail en plus représente autant de vies épargnées. Les camarades britanniques le savent bien, des docks de Londres aux mines du pays de Galles, eux qui font la guerre non pas au peuple allemand, mais à son militarisme. Sur ces entrefaites, arrive Chingareff, sortant d’une séance du gouvernement provisoire. Le sénateur-américain Root prononce quelques mots. Harangue brève, mais qu’importe ? L’orateur américain est là, il soutient la cause : c’est l’essentiel. L’émotion a déjà pris racine et s’épanouit en applaudissements dont la Patti aurait pu être fière à l’époque de ses grands triomphes.

Voici maintenant Maklakoff à la tribune. Sa taille voûtée, ses mouvements anguleux, son extérieur négligé, ses cheveux rejetés en arrière, tout cela disparait quand on l’écoute : ses yeux noirs où brille tant d’intelligence, tant d’esprit, ont un regard si expressif, qu’il en paraît presque beau. Il commence, d’une voix faible, avec un accent légèrement grasseyant : déjà le public est suspendu à ses lèvres. Pourtant, son langage est sévère : il brûle beaucoup moins d’encens que les autres à toutes les libertés maintenant promulguées. Il souligne, — constatation pénible, mais combien vraie ! — la crise que traversent l’armée et le pays. Il fait entendre l’appel de la patrie en danger. Alors sa voix devient forte, elle s’amplifie, elle vibre. On ne résiste pas à cette parole entraînante. Le cadre, l’orateur disparaissent : on ne voit plus que le danger de la patrie, on n’entend que l’objurgation de la patrie qui a besoin de vous. Il semble que la cloche d’alarme fasse l’accompagnement à ce discours : ses tintements se prolongent en échos lointains jusqu’au fond de l’Ame. Le poète se retrouve dans le tribun :