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faisait office de président. Il nous annonça que, sur les douze membres dont se composait le Comité, deux étaient à remplacer. Nous étions convoqués pour élire leurs successeurs.

— Citoyens, veuillez désigner vos candidats !

Chacun cria un nom différent. Les uns timidement, d’autres avec arrogance. Les ouvriers considéraient les bourgeois avec des yeux de haine. Un homme en bourgeron monta à la tribune. Farouche et menaçant, il promena sur l’auditoire un regard circulaire, et, tout à coup :

— Je propose la candidature de la camarade Narischkine, cria-t-il.

Un coup de foudre eut produit sur moi moins d’effet que cette motion extraordinaire. J’en fus tellement saisie que la force même de refuser me manqua. Je me tus et restai bouche bée : je me consolais à l’idée que ma candidature n’avait aucune chance de succès. La liste close, une voix s’éleva :

— Il ne suffit pas de savoir les noms des candidats. Nous voulons être renseignés sur leur carrière publique. Avant de voter pour eux, il faut connaître leurs titres.

L’un avait passé dix ans en prison pour opinions politiques : il avait été mêlé à des organisations révolutionnaires ! Un autre, un ingénieur, avait dû fuir à l’étranger pendant son stage universitaire : il avait pris part à des manifestations antigouvernementales. Un troisième avait subi de nombreuses-condamnations pour faits de propagande, gracié en 1905… En somme, leurs états de service étaient tous à peu près les mêmes. Cela me rassurait. Lia camarade Narischkine avait travaillé depuis le début de la guerre à l’Union des Villes. Ce n’était pas un titre politique et ne répondait en rien aux exigences de cette assemblée.

Nouvelle fantaisie :

— Il faut que chacun des candidats expose en personne son programme politique !

À ces mots, la peur, une peur horrible, s’empara de tout mon être. Trop tard pour retirer ma candidature, il ne me restait aucun moyen de me dérober. Il fallait suivre l’exemple des autres et parler. Or, je ne savais même pas le nom des divers partis. Plongée dans mes pensées, j’écoutais distraitement les discours emphatiques des orateurs. Tous se prétendaient plus gauches que les gauches. La plupart critiquaient