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fallu que les deux monstres de l’abîme, la Méduse et le Dragon, fussent vaincus. Il a fallu que la Luxure, cet orgueil de la chair, et l’Orgueil, cette luxure de l’esprit, fussent foulés aux pieds. Il les a terrassés le jeune et fluide athlète. Et c’est pour cela qu’il a pu se muer en cet être ingénu, vif et léger comme le feu, dont la chair délicate semble tissée dans l’éther transparent. Son type rappelle le Bacchus, mais quelle différence d’attitude et d’expression, quelle métamorphose d’âme ! Le Bacchus est trempé de soleil, immergé en pleine sève terrestre. Ce nouveau Dionysos ressort en plein relief des ténèbres de son clair-obscur comme l’apparition d’un autre monde. Il en reflète la lumière qui caresse ses flancs et sa poitrine, en même temps qu’elle éclaire du dedans son visage. Ce monde de l’au-delà, ce royaume spirituel qu’il voit, mais qu’on ne saurait décrire, son bras arrondi le désigne d’un geste charmant et familier et son doigt levé le montre avec certitude. Sa tête inclinée sourit d’une céleste ivresse. Dans ce sourire et dans ce visage, qui ne reconnaîtrait pas le sourire ineffable de la Joconde transfigurée ?


Après un brusque refroidissement et une courte maladie, Léonard de Vinci expirait brusquement le 22 mai 1519, au château de doux. Par son testament, il venait de léguer à son fidèle disciple, Francesco Melzi, ses dessins et ses nombreux carnets renfermant ses pensées philosophiques et les notes minutieuses de ses recherches scientifiques. Le corps de l’illustre artiste fut inhumé dans la chapelle du château d’Amboise. Malgré toutes les recherches, il a été impossible de retrouver sa dalle. D’autre part, personne n’a jamais rien su de la destinée de Mona Lisa, après sa séparation d’avec le grand peintre. Le corps de l’un et la vie de l’autre ont disparu sans trace. Mais les tableaux, dans lesquels ces deux êtres ont si intensément mélangé leurs quintessences et accompli en quelque sorte leur mariage mystique, luisent toujours sur l’obscur mystère du drame humain comme des flambeaux incandescents de l’âme ou comme des soleils lointains dont la lumière intermittente se cherche à travers les espaces.

Au cours de ses explorations dans les Alpes, Léonard avait fait jadis l’ascension périlleuse du Mont Rose, de cette cime