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tout l’éclat de sa gloire naissante et de sa folle jeunesse. Ce roi chevaleresque et libertin, qui semblait sortir du poème de l’Arioste, se montrait aussi variable dans ses amours que dans sa politique. Léger en tout, il prenait l’art au sérieux. Il fut le premier souverain de France et peut-être le premier des Français qui comprit la beauté merveilleuse et l’incomparable supériorité de l’art italien. Son désir le plus ardent était de le faire passer en France, en attirant chez lui les premiers artistes d’Italie. Dès sa première entrevue avec Léonard, il l’appela « mon père. » Le geste de Charles-Quint ramassant le pinceau du Titien est certes fort gracieux, mais ce nom de « père » donné par François Ier à Léonard témoigne d’un sentiment plus intime. Il prouve la reconnaissance liliale du jeune souverain envers le vieux maître, qui lui ouvrait les secrets du Beau, et son désir de se mettre humblement à son école.

La faveur royale fut illimitée. Voulant fixer définitivement l’artiste dans son royaume et l’attacher indissolublement à sa personne, François Ier l’emmena en France et lui donna le château de Cloux, près d’Amboise, sa propre demeure habituelle. En 1517, nous trouvons Léonard installé dans cette jolie résidence, entre la Touraine et la Sologne. Il a pour seuls compagnons un gentilhomme milanais, Francesco Melzi, son disciple inséparable, et un serviteur fidèle. Mais il jouit de sa liberté entière. Le Roi lui avait constitué une pension de 700 écus. Il lui fit les honneurs de ses séjours de choix. Il lui montra le château de Blois, où une statue équestre du roi de France armé en chevalier et toute dorée resplendit sur la porte d’entrée. Il l’hébergea au château d’Amboise, qui mire orgueilleusement ses tours à poivrière dans la Loire. Il le promena dans l’immense château de Chambord, flanqué de ses quatre donjons au milieu d’une vaste forêt, où le roi se proposait de faire construire un escalier tournant à balustrade ajourée représentant une joyeuse escalade de nymphes et de satyres. Et, pendant les molles chevauchées le long des méandres de la Loire, le monarque exubérant avait dit à l’artiste rêveur : « Tout ce que tu viens de voir n’est rien auprès de ce que tu peux faire. Te voilà libre de travailler à ta guise. Palais, statues, tableaux, je trouverai beau tout ce qui sortira de ton cerveau. J’ouvre un crédit illimité à ton génie. Imagine, invente, crée ; je réaliserai les songes. Dispose du marbre, du bronze