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invitées à reprendre leurs séances, ne se réunirent que pour décider de s’ajourner sine die ; les ouvriers de Malines et d’ailleurs, qu’ils tentaient d’embaucher en leur offrant de forts salaires, leur tournèrent le dos, refusant de travailler pour le roi de Prusse. Ils essayaient d’allécher le public bruxellois, en organisant des concerts où devaient être entendus les chefs-d’œuvre de la musique allemande exécutés par les meilleurs artistes d’outre-Rhin ; mais ils restèrent seuls à les entendre, et l’Université de Bruxelles exclut de son sein un professeur qui avait eu la mauvaise idée d’y assister. Ils interdirent toute manifestation pour le 21 juillet 1915 qui est l’anniversaire de la proclamation de notre indépendance nationale, et le 21 juillet, ils étaient témoins, à Bruxelles, à Anvers, à Gand, à Liège, dans toutes nos villes et même dans nos villages, d’une grandiose et émouvante manifestation de foi nationale : les magasins fermés comme le dimanche, les églises bondées pour le Te Deum ; toute la population endimanchée circulant dans les rues, portant à la boutonnière ou au corsage, à la place des couleurs nationales prohibées, la feuille de lierre qui est l’emblème de notre fidélité à notre Roi et à notre patrie. Ainsi nous réalisions dans les chaînes la belle parole que M. de Broqueville prononçait le 4 août dans la séance de nos Chambres : « La Belgique peut être vaincue, elle ne sera jamais soumise. »

C’est ce que toutes les semaines, avec autant de courage que d’à-propos, rappelait au « gouvernement allemand en Belgique » le seul journal belge qui parût sans se soumettre à sa censure. Il s’appelait la Libre Belgique et il circulait à travers tout le pays depuis le mois de février 1915, distribué de proche en proche par des mains de confiance. Von Bissing fit des efforts désespérés pour découvrir l’officine de ce journal ou pour mettre la main sur ses rédacteurs, mais les joyeux conspirateurs belges avaient plus d’esprit que les détectives de la police allemande et la Libre Belgique continuait d’entretenir pour ses lecteurs l’espérance et la flamme du patriotisme.

La Belgique a donc le droit d’être contente de tous ses enfants. Mais l’Europe, de son côté, doit être contente de la Belgique. En nous défendant nous-mêmes, c’est sa liberté à elle que nous avons sauvée.

« L’atout de l’Allemagne, c’est la rapidité, » disait M. von Jagow. Ce plan, la résistance belge l’a faussé dès le premier