Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient mis l’infranchissable ligne de l’Yser entre eux et leurs ennemis ; ils devenaient l’aile gauche de l’armée franco-anglaise.

Et l’Yser nous a consolés d’Anvers !

Nul n’aurait cru que ce canal de 20 mètres de largeur maxima serait pour la patrie belge le refuge inexpugnable que le génie de Brialmont et les millions de notre trésor n’avaient pu faire d’Anvers. L’Yser sera désormais, dans l’histoire de la Belgique, ce que les Thermopyles ont été dans celle de la Grèce et l’Argon né dans celle de la France ; le nom prestigieux autour duquel se donnent rendez-vous les plus glorieux souvenirs de la patrie. Grâce à l’Yser, le roi Albert n’a jamais quitté le sol de son pays : le royaume de Belgique, bien que ramené aux frontières les plus exiguës, existait toujours et donnait un éclatant démenti à l’audacieuse affirmation de la Kœlnische Zeitung, qui, dès le 18 octobre, avait imprimé en vedette : « Toute la Belgique est évacuée par les Alliés. »

Cette « plus petite Belgique, » sur laquelle ont été fixés pendant de longs mois les yeux de tout l’univers, a le droit de revendiquer dans l’histoire du monde une place hors de toute proportion avec son étendue.

Deux petits cours d’eau naissent dans la plaine flamande a une médiocre distance l’un de l’autre ; l’un venant de l’Ouest et l’autre du Sud ; ce sont des jumeaux ayant même patrie, même étendue, mêmes destinées et presque le même nom. L’un s’appelle l’Yser et l’autre l’Yper ; ils se jettent l’un dans l’autre près des ruines de l’ancien fort de Knocke, célèbres dans les annales de notre XVIIIe siècle, puis ils cheminent confondus dans la direction du Nord, confondus jusqu’à la mer, qu’ils atteignent après 50 kilomètres de parcours commun.

C’est l’Yper qui jusqu’au confluent forme la ligne de défense, confiée aux forces anglaises, l’Yser étant réservé à l’armée belge. Cette ligne est d’un intérêt majeur ; on y rencontrait trois nobles villes dont il ne reste plus aujourd’hui que des ruines : Ypres, la grande fourmilière industrielle du moyen âge, dont les halles étaient une des plus fières manifestations de l’esprit communal ; Dixmude, la gracieuse, étendue au milieu des plus opulents pâturages de la Belgique, et offrant au voyageur les plus beaux de nos paysages urbains après ceux de Bruges et de matines ; Nieuport enfin, qui racontait aux flots de la mer du Nord l’épopée de nos guerres et de nos douleurs