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et je viens, comme nous y incitait jadis Barrès, « baiser ses fers brisés. » Je connais peu d’heures où j’aie plus vivement senti la joie de vivre et de vivre Français, Et pour que ma joie soit complète, voici que, sur le seuil même de Metz, un peu en avant de la barrière, le meilleur des Lorrains me tend les bras en souriant : le général de Maud’huy, que j’embrasse les larmes aux yeux. Car le nouveau gouverneur, ce Messin enragé, attend impatiemment Pétain avant d’entrer dans sa ville. Et tout à l’heure, j’aurai cette autre joie de voir, dans Metz délivrée, Maurice Barrès au milieu d’une jolie foule de petites « Colette. »

Les faubourgs sont fort peu pavoisés : il y a là une grosse population allemande : eût-elle fait mine de pavoiser que les Messins, — tout comme l’ont fait les Mulhousiens, comme le feront les Strasbourgeois, — leur eussent fait rentrer leurs drapeaux. Mais le vieux Metz offre un aspect magnifique et réchauffant. Les rues étroites de la cité française se prêtent à la décoration : rue aux Clercs comme rue Serpenoise, les hampes des drapeaux ne sont pas loin de se croiser au-dessus de nos têtes. C’est un foisonnement. Ce n’est point cependant l’impression que m’a laissée le Mulhouse de dimanche littéralement tendu de tricolore. Sauf cet îlot proprement lorrain entre l’Esplanade et la place d’armes, les drapeaux sont espacés ; on mesure mieux encore que devant, à ce trait, que c’est bien un ilot en effet peu à peu rongé par le flot des Barbares. Dans certaines rues lorraines même, chaque maison a bien mis son drapeau, mais s’en contente ; le Lorrain n’est pas homme à « se faire remarquer. » À quelqu’un qui lui reprochait sa rudesse, — « un vrai buisson d’épines, » — notre compatriote Jules Ferry répondait presque douloureusement : « Mes roses poussent en dedans. » Les roses de Metz poussent en dedans, comme celles de ce Lorrain de marque. Cependant l’animation est joyeuse, mais on sent bien que le sentiment est en grandes nappes qui ne jailliront que par maintes échappées, — vives et courtes. Je ne m’attends pas à plus, mais je contemple avec édification cette belle fauchée de Hohenzollerns par quoi s’est affirmée, — une heure, — la violente haine de Metz longtemps opprimé.

Guillaume Ier reste entier ; naguère sa statue m’avait si fort offusqué que je n’avais pu m’empêcher de réclamer, dès 1906, qu’on la jetât bas au premier jour ; elle dominait orgueilleusement