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Il y eut un siècle l’an dernier que naquit Charles Gounod. Il y a cette année un demi-siècle qu’Hector Berlioz est mort. On n’a rien fait pour la mémoire de l’un ; pour celle de l’autre, presque pas davantage. Sans parler de quelques fragments, donnés çà et là, certain « Festival — Berlioz, » au Trocadéro, parut un hommage insuffisant. Aussi bien, en ce local déplorable, encore plus contraire à sa destination que l’Opéra lui-même, tout le monde sait qu’il ne saurait y avoir de fête, au moins de fête musicale.

Le programme du concert dirigé par M. Victor Charpentier com- prenait avec deux ouvertures : celle des Francs-Juges et celle du Carnaval romain, plusieurs morceaux choisis des œuvres principales de Berlioz, ses œuvres de théâtre exceptées : Symphonie Fantastique, Enfance du Christ et le Requiem, Damnation de Faust, Roméo et Juliette et Te Deum. L’ouverture des Francs-Juges est une composition de jeunesse, dont le thème principal, un peu simplet, ferait penser à du mauvais Mozart, s’il existait du Mozart de cette espèce. Ici, pas un éclair encore et pas une ombre non plus de romantisme. Fulgurante au contraire, éblouissante, après un prélude chargé de mélancolie, telle est l’ouverture du Carnaval romain, la seconde que Berlioz écrivit pour Benvenuto Cellini. Il y. rappela, ou plutôt il y exposa d’avance deux motifs de l’opéra : celui de la saltarelle et certaine phrase d’amour chantée par Benvenuto. Du premier il fit l’allegro ; de l’autre, l’introduction ; de tous deux un chef-d’œuvre de rêverie d’abord, puis de mouvement et de joie. L’andante est une pure merveille ; mais, chose curieuse, il n’est cela qu’à l’orchestre. Le timbre du cor anglais lui prête un charme triste et tendre, une poésie, un mystère, que plus tard, sur les lèvres de Benvenuto, le thème ne retrouvera pas. Et ce n’est pas la moindre preuve du génie symphonique ou instrumental de Berlioz, qu’il ait su donner à l’un de ses chants, par une des voix de l’orchestre mieux que par une voix humaine, l’accent et comme le son même de l’humanité.

Oui, plus encore que symphonique, l’art de Berlioz est instrumental. L’ordre des sonorités ou des timbres, voilà son véritable royaume, celui que le premier, avant même Wagner, il a découvert et possédé. Sans doute, le premier aussi (1830), il a fait d’un thème non pas seulement rappelé, mais transformé, voire déformé, le vrai « leitmotiv » de la Symphonie Fantastique. On peut néanmoins affirmer que le principe ou l’élément symphonique par excellence, l’évolution, le progrès d’une idée musicale, ne constitue pas le fond et l’essence du génie de Berlioz comme du génie de Beethoven ou du génie wagnérien.