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même temps. Et combien n’y a-t-il pas de denrées, de denrées même nécessaires, qui ont encore renchéri depuis l’armistice ! Mais à quoi bon des exemples, quand chacun ne sait que trop ce qui en est ? Dans l’ensemble, on peut dire que la hausse parait un peu moins forte en Angleterre qu’en France, et beaucoup plus en Italie, en Suède, en Norvège, comme a fortiori chez nos ennemis.

Natura non fecit saltus ! Le « saut, » ici, est d’importance, et, par sa soudaineté, sans précédent. En peut-on conclure que le phénomène disparaîtra aussi vite qu’il est apparu ? Ne nous y lions pas, car il dépend à la fois de trop de causes et de causes trop complexes. C’est d’abord la raréfaction des produits, due à la guerre qui absorbait la plus grosse part du travail et des matières premières, et la réduction des moyens de transports : or, ce n’est que peu à peu que le monde recommencera à produire dans la paix et pour la paix, qu’il trouvera assez de bateaux pour ses expéditions, de locomotives pour ses trains, sans compter que partout la hausse des impôts haussera les prix de revient. C’est, d’autre part, l’accroissement des consommations, tant civiles que militaires : si les besoins de l’armée vont diminuer, en sera-t-il de même et de sitôt, à l’arrière, pour ces appétits de jouissance que la guerre a déchaînés et que les hauts prix eux-mêmes n’ont pas réussi à refréner ? C’est enfin l’ « inflation, » la multiplication des « signes » monétaires, la surabondance des billets, qui a fait fléchir le pouvoir d’achat de la monnaie. Au 1er janvier 1914, il circulait en France 6 milliards de billets et un peu plus de 4 milliards d’or ; aujourd’hui il y a 33 milliards de billets émis et peut-être encore un peu d’or qui se cache : la muasse de la monnaie en circulation a plus que triplé. Il est vrai que les besoins monétaires ont aussi augmenté : on thésaurise non seulement l’or, mais les billets ; on paie comptant plus qu’autrefois ; il y a plus d’argent qui traîne dans les poches ; et puis, comme tous les phénomènes économiques réagissent les uns sur les autres, il est clair que plus les prix s’élèvent, plus il faut de monnaie pour les transactions. Seulement, la demande de moyens de paiement n’a pas triplé, tant s’en faut, comme l’offre, et l’excès de celle-ci sur celle-là a contribué, en abaissant la valeur de la monnaie, à faire hausser les prix. Dans quelle mesure ? C’est ce qu’il est impossible de préciser. En Angleterre, on estimait naguère