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écrit-il, fut senti par toutes les classes et donna de l’aiguillon à l’industrie, à l’entreprise et à l’invention, et engendra un esprit d’économie tel qu’on aurait en vain tenté de le développer par d’autres voies... Sans la guerre contre la France, il y aurait eu moins d’industrie et moins de frugalité, parce qu’il aurait eu moins de nécessité de l’une et de l’autre. L’homme ne subit pas seulement l’influence de l’espérance, mais aussi celle de la crainte : la taxation met en jeu ce dernier principe. » Hume l’avait déjà, observé : « Toute taxe nouvelle crée chez celui qui y est assujetti une faculté nouvelle de la supporter, et toute augmentation des charges publiques accroit proportionnellement l’activité industrielle du pays. »

C’est là une vue bien optimiste des choses, et qu’il faudrait se garder de pousser trop loin ; seule l’ironie cruelle d’un Swift se permettrait de représenter le percepteur ou le gabelou sous la figure d’un agent du progrès ! Il est clair qu’il y a un point où l’imposition, comme l’oppression, loin de stimuler les énergies, les décourage, et tend à rendre l’homme indolent et pauvre au lieu de le rendre industrieux et entreprenant. C’est au reste ce que Hume et Mac Culloch étaient eux-mêmes bien loin de contester, et c’est ce que Montesquieu avait en son temps fait ressortir en disant que « la pesanteur des charges produit d’abord le travail, le travail l’accablement, l’accablement la paresse. » Mais on doit reconnaître qu’il y a tout de même une part intéressante de vérité psychologique dans cette thèse, si curieusement anglo-saxonne d’esprit, et dont il est opportun et salutaire de se souvenir en notre temps d’épreuves et de sacrifices. Quand la surcharge fiscale dérive d’une nécessité patriotique indiscutée, quand elle est répartie avec une équité suffisante et sans opprimer systématiquement l’épargne ou la production, il y a chance pour que, dans un pays industrieux et ordonné, on voie jouer le phénomène compensateur de réaction individuelle qui portera ceux qui produisent à produire davantage, ceux qui épargnent à épargner davantage. Puissions-nous voir aujourd’hui en France l’effet bienfaisant de ce facteur de résistance économique qui, s’il n’a pas été autrefois, comme on l’a paradoxalement soutenu, la cause du progrès industriel de nos voisins britanniques, ne laisse pas sans doute d’avoir joué un rôle dans le « rétablissement » de l’Angleterre après 1815 !