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de ces yeomen qui avaient fait autrefois la force de l’Angleterre. Cependant la masse du peuple souffre plus qu’elle n’avait fait au cours de la guerre. Les salaires bas s’aggravent du manque de travail à la ville ; dans les campagnes, les ouvriers agricoles ne sont plus payés que 7 à 8 shillings la semaine, au lieu de 15 ; nombre d’anciens fermiers tombent à la charge de la « loi des pauvres, » et celle-ci même craquant sous le poids du paupérisme, il arrive que des administrations de paroisses tombent en faillite. Troubles et émeutes se multiplient ; des bandes armées brûlent les récoltes, pillent les boutiques ; les Luddites brisent les machines ; l’Habeas corpus doit être suspendu en 1817, et le nouveau parti radical aura de la peine à canaliser l’agitation dans le mouvement politique qui aboutira à la réforme électorale de 1832.

Ce qui sauve alors le pays, c’est l’essor industriel qui, par les merveilleuses applications de la science, se développe, lentement d’abord, avec peine, puis d’un vol rapide, et rend à l’Angleterre la prospérité par le travail et la production. Il avait commencé avant la guerre et s’était continué pendant la guerre, mais ce n’est qu’après 1815 qu’il s’épanouit à la faveur de la paix, les premières années de crise passées. Avec la vapeur, la machine et les progrès mécaniques, l’industrie dans toutes ses branches prend peu à peu un élan prodigieux. Les découvertes et les inventions se succèdent. La navigation à vapeur fait ses débuts tout de suite après Waterloo ; les chemins de fer une dizaine d’années après. Dans la fabrication textile, qui tient la première place à cette époque dans le Royaume-Uni, le métier à main était encore en 1815 d’un usage général ; on ne comptait guère, cette année-là, que 3 000 métiers mécaniques : en 1825, on en compte 30 000 et 100 000 en 1834. L’importation du coton brut ne dépassait pas 92 000 livres en 1815 : elle atteint 202 000 livres en 1825. Celle de la laine passe dans le même temps de 13 000 à 43 000 livres. La production du fer s’élève de 258 000 tonnes en 1806 à 581 000 en 1825, et montera à 1 million en 1835. L’Angleterre, d’agricole qu’elle était surtout, devient surtout industrielle ; elle se mue en une immense manufacture.

Sans doute la transformation n’a pas lieu sans heurt ni dommage. Le retour au bien-être matériel est lent ; le paupérisme ne diminuera qu’avec le temps. Cependant l’Angleterre