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touché ; les consolidés, qui avaient atteint le cours de 97 en 1792, tombaient à 47 cinq ans après ; le billet de la Banque d’Angleterre perdait en 1814 plus de 29 pour 100 de sa valeur ; l’or se cachait, la « cavalerie de Saint-Georges » ne servait plus qu’à l’extérieur. Comme aujourd’hui, les prix des choses, qui depuis l’avènement de George III avaient déjà subi une forte hausse, — de 1768 à 1786 ils s’étaient accrus, selon Hume, plus que dans les 150 années antérieures, — s’élevaient démesurément ; le quarter de blé, qu’on payait 51 shillings en 1767-1770, en valait 110 en 1810 ; la viande haussa dans la même période de 146 pour 100, le beurre de 140 ; et ainsi du reste.

Grâce au renchérissement, grâce aussi à l’introduction des machines, l’industrie progresse, malgré la guerre ; nombreux sont alors comme aujourd’hui les « profiteurs ; » mais alors comme aujourd’hui la prospérité apparente repose pour une bonne part sur l’inflation monétaire et la spéculation. Les salaires ouvriers, bien que haussés en chiffres absolus, voient leur pouvoir d’achat diminué, du fait de la hausse des denrées nécessaires. Seuls, les agriculteurs, landlords et fermiers, jouissent pour un temps d’une fortune sans précédent. Les produits de la terre ont doublé de prix. La rente du sol, comptée en 1800 pour 22 millions et demi de livres, est évaluée en 1815 à 34 millions passés. Comme aujourd’hui, on cultive tout ce qui est cultivable. Tout le monde s’y met ; le Roi daigne se faire appeler « le fermier George ; » Burke et Fox rivalisent dans leurs essais... de culture maraîchère. De même que nous avons eu ces années-ci des potagers militaires ou scolaires, on voyait alors, oh ! scandale, des jardins ecclésiastiques dans les cimetières, et un jour, comme certain archidiacre en tournée dans une paroisse protestait en voyant des plants de navets autour de l’église, et insistait auprès du rector pour qu’il ne recommençât pas l’an d’après : « Bien sûr, lui répondit-on, l’année prochaine on mettra de l’orge ! »

L’Angleterre a souffert, ces vingt-trois années durant ; mais, comme Sieyès pendant la Révolution, elle a vécu. Les pires épreuves devaient lui venir avec la paix, une paix qui, comme on sait, ne lui apporta d’ailleurs pas de bénéfices matériels, hors la possession de quelques points d’appui maritimes et coloniaux. C’est après 1815 qu’on la voit aux prises avec les plus graves difficultés financières.