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cette bulle dont Fénelon fut en France le plus actif messager, les eût sans doute agréablement surpris, en leur montrant l’Eglise frappant d’anathème cette autre proposition de Quesnel : « Hors de l’Eglise aucune grâce n’est assurée. » C’était un beau cadeau que ce janséniste avait prétendu faire à l’Eglise en lui conférant l’absolu monopole de la dispensation de la grâce, mais l’Eglise avait refusé le cadeau, comme une atteinte à la vieille maxime du moyen âge, d’après laquelle « Dieu n’a pu enchainer à ses sacrements sa puissance de nous sanctifier, » et comme une injure personnelle à l’adresse du Christ, qui peut agir par d’autres voies que les voies sacramentelles. Les jansénistes, qui par surcroit marchandaient au fidèle l’usage de ces dernières voies, n’avaient jamais pu supporter qu’on permit au Christ d’être si généreux, si libéral, j’allais dire si tolérant. Sainte-Beuve, en un coin de son Port-Royal, cite à cet égard une bien curieuse lettre, que Pontchâteau, un des hommes notables du groupe, adressait en 1676 à l’un de ses correspondants d’Utrecht :


Les Jésuites, écrivait-il, prêchent l’indifférence. Un d’eux a assisté un soldat hérétique à la mort dans Amiens, où il fut passé par les armes, et a fait prier Dieu publiquement pour lui, espérant bien de son salut sans lui faire faire abjuration. Il traita même d’ignorante une personne qui lui témoigna en être surprise. Il se contenta de lui faire prononcer des actes de foi et d’amour de Dieu, et de lui faire lire le dix-septième chapitre de l’Évangile de saint Jean. Il fallait encore ce digne couronnement aux excès qu’ils commettent[1].


Mais les « excès » des jésuites continuèrent : il y en eut un en 1731, — il s’appelait le Père Boisson, — pour soutenir, à Pamiers, qu’ « un luthérien, un calviniste ou autre, s’il est dans la bonne foi, peut absolument se sauver dans sa secte. » L’évêque crossa notre Jésuite, et les jansénistes d’applaudir. Ils étaient d’autant plus excités que, derrière le Père Boisson, ils visaient M. de Cambrai. Et c’était encore contre lui, et contre les Jésuites, que, deux ans plus tard, les curés de Rodez entassaient Remontrances sur Remontrances : ces curés déclaraient tout net qu’ « on favorisait l’incrédulité en ouvrant le ciel à ceux qui, hors de l’Église, parmi les hérétiques et les païens

  1. Sainte-Beuve, Port-Royal, 4e édition, IV, p. 331, n. I.