Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/893

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de pélagienne. Son goût pour la « nature » et pour l’ « aimable simplicité du monde naissant, » ce goût par lequel il devance les philosophes et que ceux-ci dépraveront jusqu’à l’utopique niaiserie, accompagne et sanctionne, chez lui, une certaine conception du christianisme, qui s’apparentait à celle de saint François de Sales [1], et qui ne consentait pas que le monde naissant, monde de pécheurs non encore rachetés, fût radicalement et fondamentalement mauvais, ni que le péché originel eût complètement brisé les ailes par lesquelles l’homme peut s’élever à l’idée de justice.

Mais cette conception-là, elle avait des ennemis mortels, les jansénistes. Et l’on peut dire expressément que si la pensée de Fénelon n’eût pas été dominée par certaines idées sur l’homme et par certaines idées sur Dieu qui étaient aux antipodes du jansénisme, un certain nombre des attraits par lesquels elle plaisait aux philosophes eussent disparu. Je ne crois pas, d’ailleurs, qu’ils s’en soient jamais rendu nettement compte. Les discussions sur Baïus, Jansenius ou Quesnel, n’étaient pour eux que du verbiage. L’opposition janséniste était devenue, sous leurs yeux, un parti politique beaucoup plus que religieux, et que les mesures de coercition prises par le pouvoir royal désignaient à leur sympathie. De ces opposants, victimes de l’intolérance d’État, on faisait, tout doucement, des confesseurs de la tolérance ; on les considérait comme une sorte d’aile droite, — et c’est ce qu’ils seront à la Constituante, — de cette armée « philosophique » qui allait faire campagne pour la raison contre l’autorité, pour la liberté contre le despotisme, et pour la religiosité naturelle, ou bien pour l’athéisme, contre les « chaînes » du dogme. Mais parallèlement à cette alliance toute politique, on élaborait une « philosophie » beaucoup plus incompatible encore avec la vieille théologie janséniste qu’avec les récentes affirmations romaines [2].

  1. Voir là-dessus une page pénétrante de Sainte-Beuve, Port-Royal (4e édit.), I, p. 218-221.
  2. A certaines heures, Voltaire s’indigne contre « quelques fanatiques qui ont voulu proscrire les anciennes fables. » « Aux yeux de ces sages austères, dit-il, Fénelon n’était qu’un idolâtre. » Et il se fâche, et il les nomme : « Il y eut parmi ceux qu’on nomme jansénistes une petite secte de cerveaux durs et creux. Dictionnaire philosophique, article Fable). Mais que cette dureté même leur fût commandée par leur théologie, par cette théologie à laquelle la bulle Unigenitus apportait les rectifications nécessaires, c’est ce qui échappait à Voltaire.