Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/890

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était trop attaché à toutes les gloires de la vieille Eglise de France pour consentir à les dissocier.

Du coup, il y eut des révolutionnaires pour s’inquiéter ; et lorsque, en 1702, le conventionnel Guffroy demanda que la Convention rendit un hommage éclatant à la vertu, en faisant transférer au Panthéon les cendres « du sage et vertueux Fénelon, » son collègue Bazire s’insurgea, et riposta que Fénelon, ce monarchiste, ne pouvait être honoré par des républicains.

La majorité des députés furent de cet avis. Mais Fénelon, parmi eux, redevint à la mode, grâce au Théâtre de la République. On l’y vit monter sur les tréteaux, en février 1793, dans une pièce de Marie-Joseph Chénier : Fénelon ou les religieuses de Cambrai. Il se faisait ouvrir les souterrains d’un couvent, délivrait des fers une religieuse et la restituait à son ancien séducteur. Une anecdote dont Fléchier, dans son diocèse de Mimes, avait été le héros [1], servait de point de départ à cette pièce, œuvre d’une conscience antimonacale et d’un cœur sensible ; mais le dramaturge révolutionnaire frustrait Fléchier pour mettre en scène Fénelon. On pouvait lire dans les Sermons choisis sous divers sujets, publiés en 1718 par Ramsay et le marquis de Fénelon, un discours de Fénelon à une nouvelle convertie, qui renfermait un magnifique éloge du cloître ; mais lorsque, en 1793, on voulait introduire sur la scène parisienne, comme une sorte de commentaire aux décrets de la Révolution contre les vœux religieux, l’exemple éloquent d’un prélat qui les condamnait, il fallait, aux dépens de l’histoire, que ce prélat fût celui de Cambrai. Fénelon devenait un type représentatif ; son nom prenait la portée d’une allégorie.

Les timidités politiques dont l’avait convaincu Bazire lui fermaient le Panthéon ; mais les oreilles jacobines, pourtant, se sentaient délicieusement caressées par la voix de Mentor faisant de l’éducation une chose d’État ; et dans les éphémérides révolutionnaires. Calendrier du peuple finançais, Almanach des républicains, Fénelon trouvait sa place ; un jour lui était consacré ; il devenait un saint de la France laïque, un saint que les partis se disputaient entre eux. Victimes et bourreaux du lendemain prétendaient également à son parrainage. Il fallait qu’il fût « l’Amphion d’une patrie qui se désorganisait, » car

  1. L’anecdote avait été racontée par d’Alembert dans son Éloge de Fléchier (Œuvres de d’Alembert) éd. Belin, II, p. 334).