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— C’est vraiment inouï ! s’exclamait-elle.

Voeikoff était toujours prisonnier, mais on l’avait transféré dans un hôpital pour lui faire l’opération de la cataracte.

Les événements se succédaient avec une rapidité prodigieuse, et l’avenir chaque jour s’assombrissait davantage. Trop vieux pour revoir jamais la Russie telle qu’il la désirait, il ne restait à ce couple d’un autre temps qu’une consolation : revivre en songe les jours écoulés, les jours qui ne reviendront plus. D’autres viendraient, mais ceux-là, ils ne les reverraient jamais ! Ils n’aspirent plus qu’au repos, ils n’ont qu’un désir, c’est que rien ne vienne troubler leur solitude, tandis qu’enfoncés dans leur fauteuil, au coin du feu, ils évoquent les jours d’autrefois. Les étincelles crépitent dans la cheminée, et l’image du passé se réveille. Au dehors, rien que la morne étendue et le vent qui souffle. On entend parfois les rumeurs vagues de la ville, étrangère et hostile, qui s’agite quelque part là-bas. Mais cela passe comme un grondement lointain d’orage, et, de nouveau, le salon retombe au silence. Seuls, au crépuscule de leur vie, les deux vieillards s’absorbent dans une rêverie pareille, cependant que, dans le soir d’hiver, la flamme monte avec sa chanson monotone.


Vera Narischkine-Witte.

(A suivre.)