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j’ai exposé ma requête, il m’interrompt avec brusquerie :

— Ce sont elles qui vous ont envoyée ici ?

Révoltée par ce manque de cœur, je lui réponds, non sans vivacité :

— Je suis venue de mon propre gré ; il s’agit d’une vieille femme malade et de ses filles, étrangères à la politique ; j’estime qu’elles ont droit à beaucoup de sympathie, à un peu de protection. On m’affirme que vous seul pouvez leur venir en aide.

Il se radoucit et demande :

— Mais que voulez-vous que je fasse ?

— Donnez l’ordre à la Croix-Rouge de les recevoir toutes trois à l’une de ses communautés.

— Soit.

Le lendemain matin, une ambulance de la Croix-Rouge venait chercher la comtesse Frédéricks. Mais alors ce fut une bien autre affaire. La comtesse refusa net de partir. De son côté, un de ses amis, le général Svetchine, par l’intermédiaire de l’ambassadeur de France, avait trouvé des chambres à l’hôpital français. Il n’eut guère plus de succès que moi, et ne parvint pas à vaincre l’obstination de la malheureuse vieille dame. Cependant je sentais qu’il n’y avait pas une minute à perdre. Tout ce que publiaient les journaux au sujet de Voeikoff et de son beau-père était en partie inexact ou absolument faux. C’était le moyen d’exciter encore l’opinion publique contre ces deux hommes et leurs proches. Les tables et les murs de l’appartement de Voeikoff étaient couverts de photographies de la famille impériale. Si jamais la foule entrait dans la maison, la vue de ces objets rappelant l’ancien régime déchaînerait une catastrophe.

On disait le plus grand bien du docteur Urevitch, professeur à l’Académie de médecine, maintenant Préfet de la ville. J’allai donc à la Gorochovaia[1]. J’y trouvai un désordre inimaginable. Dans la salle d’attente s’entassait une foule énorme. Par la porte, qui s’ouvrait constamment, on apercevait des caisses nombreuses remplies d’argenterie et d’objets de valeur. Elles étaient gardées par des matelots débraillés, parlant haut. Personne ne semblait savoir ce qu’il avait à faire.

  1. Ancienne préfecture de police. Les bolcheviks devaient la transformer plus tard en siège central pour la Commission de la lutte avec la Contre-Révolution.