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jusque dans les clochers d’église, escortés jusqu’à l’endroit de leur trépas par la populace qui les insulte ! La haine déchaînée est quelque chose de hideux !

Tout le monde, dans la rue, montre au doigt notre demeure et accompagne ce geste de remarques hostiles. Chaque détachement de soldats se croit obligé de stationner devant cette maison suspecte. Nos murs portent de nombreuses traces de balles. Si nous n’obtenons pas un sauf-conduit, que deviendrons-nous ? Les domestiques sont terrifiés, depuis que l’on pourchasse les agents. Notre concierge surtout est tremblant : je ne serais pas étonnée d’apprendre qu’il ait servi dans la police secrète. Le bruit court dans le quartier qu’on va cerner cette nuit la maison de Lidval où se dissimulent plusieurs Okraniks[1]. Charmante perspective !

Dehors le calme semble renaître. Nous en avons terriblement besoin après une journée pareille. Nous nous coucherons tout habillées en prévision de nouvelles perquisitions, mais nous nous coucherons. Je tombe de fatigue et la tête me tourne, à la suite de toutes ces impressions, l’une plus pénible que l’autre. Une nouvelle page de la vie s’ouvre pour nous : hier nous avons tourné celle qui ne reviendra jamais plus...

Mardi 28 février.

Hier à minuit, Tutrumoff, secrétaire à l’Union des Villes, m’a apporté un papier à l’estampille révolutionnaire.

Ce document certifie que je suis la curatrice du lazaret 226 au Bolchoi Prospekt. Munie de cette pièce d’identité, je vais ce matin à la chancellerie du commandant du quartier demander aide et protection... Cependant, on ne fait que sonner à notre porte. Nous avons beau protester : c’est chaque fois à recommencer. Pendant le dîner, un homme se présente avec un groupe d’élèves du gymnase, le fusil au bras. Il se dit membre du bureau de la presse de la Douma et, avec beaucoup de volubilité, nous explique que, sur je ne sais quelle recommandation, il fut jadis reçu par mon père. Il a gardé un souvenir reconnaissant à sa mémoire pour l’audience qui lui fut accordée. Ayant appris que nous, venions d’être molestées, il consi-

  1. Hommes au service de l’Okhrana.