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de la majorité des ambassadeurs donnait à la fête un éclat particulier. Les hymnes de leurs pays furent joués parmi l’enthousiasme général. Tout ce que la capitale du Tsar blanc possédait comme aristocratie, notabilités, richesses, se trouvait ce soir-là réuni au théâtre Marie.

Les élégantes avaient profité de l’occasion pour mettre de côté leurs toilettes sévères du temps de guerre et ruisselaient de perles et de diamants. Ces têtes blondes et brunes de Slaves, où la nonchalance orientale se mariait à la grâce parisienne, emplissaient ce cadre bleu et argent de beauté et de séduction. Parmi ce luxe et cette magnificence émergeaient les coiffes blanches des sœurs et les tuniques brunes des invalides.

Les artistes, électrisés, jouaient et chantaient comme s’ils avaient voulu graver pour l’éternité le souvenir de leur art dans l’âme des assistants. La Kousnetsova faisait revivre les souffrances de l’inconstante Manon. La Lipkovskaya incarnait l’espièglerie charmante de Rosine : Beaumarchais a dû rêver d’elle en écrivant le Barbier de Séville. La Kcheinskaya, dans Don Quichotte, semblait quelque étourdissante création échappée au pinceau de Goya ; et puis elle devenait une Colombine délicieuse de grâce légère et de galanterie. Le spectacle finit, comme il avait commencé, par les sons majestueux du Boje Tsaria chrani réclamé sans fin par ce public vibrant de patriotisme. On saluait dans les accords puissants de l’hymne national le souverain commandant en chef de l’armée, qui devait la mener au combat et la guider vers la victoire.

Hélas ! nous dansions sur un volcan. A la Douma, les orateurs dénonçaient la faiblesse du régime et cinglaient de leur mépris les ministres dirigeants, tandis que l’Empereur était au front et que l’Impératrice soignait ses enfants malades. L’orage grondait sourdement dans le lointain : ici personne n’envisageait la possibilité d’une révolution. Pourtant, cette folie d’amusement, n’était-ce pas le dernier sursaut de l’agonie ?

Le samedi 23 février, on donna au théâtre Alexandre La Mascarade de Lermontoff. Une fastueuse mise en scène évoquait les fêtes que Potemkine offrit à la grande Catherine en son palais de Tauride. Il était impossible d’imaginer rien de pareil : un conte des Mille et une Nuits dans un décor romantique. Plusieurs membres de la famille impériale, de leur loge, goûtaient le charme unique de cette merveilleuse vision d’art.