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le peuple joyeux des Tritons et des Néréides. Mais, restée seule, la déesse curieuse et inassouvie appela à elle les Titans et mit au monde avec eux tout un peuple de monstres. Sur quoi, les Dieux irrités la reléguèrent aux confins du chaos. Mais elle avait conservé le pouvoir de séduire ; par vengeance elle acquit celui de tuer. Elle attirait invinciblement, paralysait du regard, puis empoisonnait de son souffle, anéantissait de son étreinte tous ceux qui s’approchaient d’elle. La belle Méduse s’était transformée en l’effroyable Gorgone. Au lieu d’être la source de la vie, la volupté devenait un meurtre. Alors les Dieux résolurent d’en finir avec la déesse malfaisante. Guidé par Pallas, le héros Persée surprit Méduse dans son sommeil et lui trancha la tête. Aussitôt, du ilot de sang qui s’échappa du col tronqué, jaillirent deux coursiers splendides, un cheval blanc et un cheval fauve, Chrysaor et Pégase. Le premier était l’Eclair qui dissipe les nuées du chaos ; le second était la Poésie qui, d’un bond, s’élance jusqu’aux cieux. Ainsi, de l’instinct sexuel, délivré des forces brutales d’en bas et dirigé vers celles d’en haut, naquirent les forces purifiantes du monde physique et du monde spirituel : l’éclair et la pensée. Cependant, dans l’horreur de son agonie, les cheveux hérissés et convulsés de Méduse s’étaient changés en un nœud de vipères, incarnations venimeuses de ses dernières pensées. Alors Pallas saisit la tête sanglante de la Gorgone et la plaça sur son égide. Désormais Méduse ne tuerait plus les mortels de son regard, mais sa face hagarde, fixée au bouclier de Minerve, servirait d’épouvantail contre les pervers et les méchants dans le combat pour la Justice et la Lumière.

Léonard embrassa-t-il dans son ensemble le mythe de la Méduse comme nous venons de le faire ? On serait tenté de le croire à cause de la fascination troublante que cette figure mythologique exerça sur lui. Vasari nous dit qu’on voyait, au palais Médicis, une tête de Méduse peinte par le Vinci sur un bouclier convexe. D’autre part, on voit, à la galerie de Windsor, un dessin de Léonard représentant Neptune sur son char, entouré de Tritons et de Néréides. Peut-être était-ce une esquisse du mariage de Neptune avec la jeune déesse marine avant qu’elle fût devenue la Gorgone. Mais, quel autre sujet pour sa fantaisie que Persée surprenant la Méduse endormie dans son antre fatidique ! Quel autre encore, après la tête tranchée,