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terriblement vivant. Cuvier ne l’aurait pas mieux conçu. Charnu et musclé, le formidable volatile n’en a pas moins la souplesse d’un vautour et sa tête de lézard exprime autant d’intelligence que de férocité. Image saisissante du Mal conscient de sa force, assaillant le courage royal surpris dans son sommeil.

Quelle sera l’issue du combat ? L’esprit sera-t-il plus fort que la matière ? Léonard nous laisse dans l’incertitude. En le figurant sous ces traits, il avait pénétré la nature intime du Mal, mais il n’avait pas encore deviné sa raison d’être dans la nature et dans l’humanité. Or, il ne suffit pas de le voir et de le comprendre, il faut l’avoir terrassé en soi-même pour s’en rendre maître : seul le dragon mort livre son secret à celui qui l’a transpercé et qui goûte son sang.

Léonard voulut donc sonder le mystère plus avant et se replongea dans ses méditations nocturnes au fond du cloître de San Ambrogio. Alors, le Génie du Mal, qui lui était apparu, en sa personnification masculine, sous la figure du Dragon, lui apparut en son incarnation féminine sous la figure de la Méduse.

Le mythe de Méduse est un de ceux que la poésie a laissés dans l’ombre, mais qui n’en joua pas moins un rôle important dans la symbolique de l’antiquité et que l’art moderne n’a fait qu’effleurer. Si le Dragon représente dans la mythologie universelle la puissance de l’individualité poussée jusqu’à la fureur dévorante de l’égoïsme et de la domination, la Méduse personnifie la faculté réceptive de la nature, son besoin aveugle de se laisser féconder, poussé jusqu’à la frénésie sexuelle. La forme mâle du Mal est l’Orgueil, sa forme femelle est la Luxure. Par le mythe médusien, le génie grec indique d’une manière voilée comment cette force primitive a pu naître par déviation et se développer dans la nature primitive longtemps avant de sévir dans l’humanité. La belle Medousa n’est pas tout d’abord un monstre. C’est une divinité charmeuse et bienfaisante, chargée de communiquer à tous les êtres le désir de l’enfantement et le pouvoir de la multiplication. Comme telle, les poètes et les peintres grecs la représentaient avec un corps de serpent, qui se termine en. un superbe buste de femme. Si belle était la partie supérieure de son corps que Neptune s’unit à elle sur une prairie couverte de fleurs. De ce mariage naquit