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de ce prestidigitateur ondoyant ? Quel but poursuivait-il dans la vie, cet inventeur de fêtes prodigieuses qui ne cherchait pas à s’enrichir ? Quel était donc le rêve de cet alchimiste de la beauté féminine, qui dédaignait le beau sexe et dont aucune femme n’avait pu enchaîner le cœur ? De quelles voluptés inconnues et raffinées se repaissait-il dans son antre, cet ascète souriant ? Magicien subtil, qui ensorcelait les hommes et les femmes, avait-il conclu avec le diable un pacte mystérieux pour acquérir un pouvoir surhumain ? Comment deviner les pensées orageuses qui sillonnaient son vaste front, quand on le surprenait dans sa rêverie ? Et pourquoi donc une si profonde tristesse se creusait-elle parfois sous les arcades sourcilières où luisaient ses yeux perçants ?

— J’imagine que les courtisans rieurs et les riches dames constellées de bijoux, qui s’agitaient au palais de Ludovic comme un essaim de scarabées et de mouches brillantes, se posèrent vainement ces questions. A nous de résoudre l’énigme en cherchant à lire dans l’âme de celui qui apparut à ses pairs eux-mêmes comme un indéchiffrable Protée.

Oui, sous ce personnage officiel il y avait un autre homme. C’est dans son officine de travail qu’il faut le chercher. Léonard s’était fait construire un atelier dans un angle du cloître de Saint-Ambroise et y avait élu domicile. Seuls ses disciples intimes avaient le droit de l’y visiter. Sa décoration étrange révélait les préoccupations dominantes et les hantises secrètes du maître. La porte du fond s’ouvrait sur une galerie du couvent solitaire. Des montagnes de cartons, de manuscrits et de dessins s’empilaient sur la table massive, encombrée d’une population minuscule de maquettes en cire et en terre glaise. Dans un coin de la salle, une statue antique de Vénus, posée sur une coquille, tordait ses cheveux où semblaient perler des gouttes d’eau quand un rayon de soleil la frappait. En face d’elle, dans l’autre coin, un svelte Mercure, au sourire futé, avait l’air de l’évoquer du fond des mers et de la cueillir de son caducée. On remarquait encore un globe en carton entre quatre colonnettes de bois, figurant le ciel étoilé avec les signes du zodiaque.

Près de là, un grand aigle empaillé avait l’air de prendre son essor. Mais ce qui frappait le plus dans cet asile de la pensée intense et du rêve créateur, c’étaient deux vitraux peints que