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conversation avec son nouveau protégé, où celui-ci déploya toutes les ressources de sa conversation éblouissante, décerna à Léonard le prix du concours.

A tout autre une si triomphale entrée en scène, et cette attitude de magicien tout-puissant auraient pu coûter cher, en suscitant au favori des inimitiés Terribles et en décevant bientôt le prince par le contraste entre l’énormité de ses promesses et la maigreur des résultats. Il n’en fut rien pour Léonard. Après avoir dompté les esprits, il sut gagner les cœurs, apaiser les jalousies en admirant les maîtres, en aidant les jeunes, en excitant chez les plus humbles l’activité et l’enthousiasme. Pendant les seize années qu’il passa à la cour de Milan, il devint le grand maître des arts et l’ordonnateur des fêtes du palais. Non seulement il fit le portrait de Béatrice d’Este, femme de Ludovic, de ses maîtresses Lucrezia Crivelli et Cecilia Gallerani, mais il dressa un vaste plan pour l’irrigation de la Lombardie qu’on devait utiliser plus tard, il fournit les modèles pour des palais et des églises et fit construire un pavillon pour la duchesse. Ludovic aimait les pompes nuptiales et funéraires, les repas splendides, les représentations d’antiques atellanes, les spectacles, les chœurs et les ballets. Léonard fut le metteur en œuvre de ces divertissements. Il organisa plusieurs pantomimes mythologiques, comme celles de Persée et d’Andromède, d’Orphée charmant les bêtes sauvages avec machineries savantes et les processions du cortège de Bacchus. Au mariage de Jean Galéas avec Isabelle d’Aragon, Ludovic donna un grand spectacle, le Paradis, dont le poète Bellincioni fit les paroles et dont Léonard fut l’inventeur et le régisseur. La scène ne représentait rien moins que le ciel. On y voyait évoluer les planètes, sous forme de divinités posées sur des globes et rendre successivement hommage à la fiancée. Faut-il s’étonner après cela que Paul Jove dise de Léonard : « Il était d’un esprit charmant, très brillant, tout à fait libéral. Durant toute sa vie, il plut étrangement à tous les princes » et que Lomazzo l’appelle « un Hermès et un Prométhée ? »

Hermès et Prométhée de cour, dira-t-on. Oui, sans doute. Mais cet amuseur de prince, ce machiniste savant d’un carnaval mondain n’était pourtant que le masque frivole d’un penseur tourmenté et d’un artiste insatiable. Ses illustres contemporains devinèrent-ils le vrai Léonard qui se cachait sous le déguisement