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son fils au célèbre André Verocchio, alors le premier peintre de Florence. Celui-ci resta confondu de la génialité précoce de ces esquisses. Stupui Andréa nel veder il grandissimo principio di Leonardo, dit Vasari. Verocchio s’empressa de recevoir l’adolescent dans son atelier et l’adjoignit bientôt comme un aide à ses travaux. Il eut pour camarades le Pérugin, Lorenzo di Gredi et Sandro Botticelli, tous trois élèves de Verocchio. Léonard ne dut guère aimer le Pérugin, peintre sans vivacité et sans conviction, laborieux imitateur des Primitifs, travaillant imperturbablement sur un schéma uniforme, athée, avare et ambitieux, qui, avec un talent médiocre et à force de persévérance, parvint à se faire de la peinture mystique un lucratif gagne-pain. En revanche, le Vinci s’attacha au tendre et charmant Lorenzo di Gredi, l’anima de son ardeur et lui insuffla son sens de la vie. Il s’intéressa également au fantasque et versatile Botticelli, dont il sut apprécier l’exquise morbidesse. Comme les grands chercheurs, Léonard se plaisait à entrer dans la nature des autres et à s’y oublier pour les connaître à fond. Quant à lui-même, il étudiait dans le laboratoire de Verocchio les propriétés chimiques des couleurs, la science du coloris et de la perspective.

Bientôt, son maître Verocchio lui fournit l’occasion de montrer au grand jour son génie naissant. Les moines de Vallombrosa lui avaient demandé un tableau représentant le Baptême de la Vierge. Verocchio exécuta ce tableau selon le goût du temps, avec ses meilleurs moyens. Au milieu d’une assemblée de graves personnages, un évêque débonnaire tient l’enfant sur les fonts baptismaux. Voulant faire honneur à son meilleur élève et désirant juger de sa force, le maître pria Léonard d’ajouter à ces figures un ange agenouillé. Le tableau se voit encore aujourd’hui à l’Académie des Beaux-Arts de Florence et demeure l’une de ses curiosités. On a d’abord l’illusion d’un rayon de soleil qui serait tombé sur une vieille tapisserie et y aurait laissé une tache de lumière, tant la tête de l’ange ressort d’un relief éclatant par l’intensité des couleurs et de l’expression au milieu des autres personnages, qui paraissent des mannequins aux masques de cire, à côté d’un être frémissant de chai-me et de vie. L’ange agenouillé de Léonard lève la tête vers l’enfant qu’on baptise. Ses boucles dorées, que retient un léger ruban, flottent sur ses épaules dans un gracieux désordre.