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et beaucoup des survivants avaient été appelés à combler des vides aux échelons supérieurs : l’élite de nos plus jeunes classes de recrutement ne suffisait plus, comme en temps de paix, à fournir à leur place des sous-lieutenants et des lieutenants ; c’est parmi les combattants eux-mêmes, dans les cadres de sous-officiers et jusque dans le rang, qu’il avait fallu puiser. Quant à la troupe, c’était l’époque où les usines de guerre, les arsenaux, les parcs d’artillerie et d’aviation, les mines retiraient sans fin des régiments d’infanterie les ouvriers qualifiés et même les simples manœuvres, tous ceux qui savaient tenir un outil : aux lieux où l’on tue et où l’on meurt, presque seuls restaient, avec leurs officiers, les paysans. On se vit donc contraint à maintenir tous en ligne ces régiments appauvris : plus tard, peut-être, on verrait à les mieux instruire. Pour l’heure, on parvint du moins à créer, dès le mois de juin 1915, dans chaque armée, des cours pour le recrutement et la formation des sous-officiers, des chefs de section et des commandants de compagnie : et ce furent les humbles commencements d’une grande chose.


Aux lieux où l’on tue et où l’on meurt, la besogne des fantassins s’était faite plus atroce. Ce n’est pas impunément que pendant des mois ils avaient suivi la consigne de reprendre toute parcelle de terrain perdue et de progresser pied à pied : de tranchée en tranchée et de sape en sape, les deux armées souterraines avaient cheminé l’une vers l’autre, et voici qu’elles s’étaient jointes.

Maintenant, dans l’été de 1915, en de nombreux secteurs, les tranchées se touchent presque ; saillants et rentrants, les lignes s’enchevêtrent. Des points de friction se sont formés qui s’élargissent comme des ulcères. Au bois d’Ailly, au bois le Prêtre, au bois de la Grurie, durant des jours, Français et Allemands se disputent à la grenade l’accès d’un boyau, séparés seulement par une pile de sacs de terre ; les cadavres des défenseurs viennent étayer un à un la pile sanglante, et nos plus beaux régiments fondent. Ailleurs, là où les lignes sont demeurées plus distantes, les lourds projectiles à ailettes des Minenwerfer cheminent à grand bruit dans l’air et ravagent nos tranchées, et, depuis le 22 avril 1915, les Allemands, — ne leur