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pour conjurer le maléfice, tous les ordres et toutes les instructions ramenaient chaque jour, comme une formule d’incantation, la promesse d’une reprise de l’offensive, on espérait : on s’avouait manœuvré ; battu, non pas.

Une autre explication, aussi vraie, mais plus haute, est celle-ci : notre infanterie avait accepté de ses officiers, avec amour, la loi de leur exemple. Assurément ce n’était pas d’eux seuls, ni même d’eux principalement qu’elle avait reçu l’élan, la flamme, mais de la nation entière. Venues de la maison et des tombes aimées, et de l’école, et de l’église, les voix de tous les vieux, de toutes les femmes, de tous les ancêtres avaient commandé à nos soldats de bien se battre. Dès les premiers jours, ils avaient oublié leurs partis, leurs querelles, pour n’être plus que les serviteurs de la Mère commune ; et, connaissant qu’il y a plus d’une demeure dans la maison de la Mère, et que toutes sont belles, et que le peuple « élu de Dieu » voulait les ravager toutes, ils s’étaient tous offerts, du même cœur brusquement simplifié, comme les fils tous pareils de la France une et indivisible, prêts à souffrir pour ses causes, pour toutes ses causes indistinctement. Mais c’est grâce à notre corps d’officiers, c’est grâce aux cadres, (ce mot est plein de sens et de justesse) que cette immense force de bonne volonté éparse trouva son armature.

Nos officiers d’infanterie payèrent de leur personne avec une prodigalité qui dépassa toute imagination, et qu’attestent les listes funèbres. Insistons par quelques exemptes sur ce grand fait : nul n’y insistera jamais assez.

Le 64e régiment, parti avec un effectif de 55 officiers, en avait 44 hors de combat le 20 septembre, jour où il fut reconstitué, à Bezannes, à douze compagnies ; à cette date, un seul chef de bataillon lui reste ; il n’a plus un capitaine ; sept compagnies sur les douze sont commandées par des adjudants ou des sergents [1]. — Le 93e ne compte plus, le 8 septembre, que 7 officiers, au lieu de 54 : un chef de bataillon, un capitaine, deux lieutenants, trois sous-lieutenants. — Un soldat du 124e écrit, le 23 août, sur son carnet de route : « Le combat de

  1. Le régiment est alors commandé par le seul chef de bataillon qui reste. Le 1er bataillon par un lieutenant du réserve, le 2e par un lieutenant d’activé, qui a comme adjoint un sous-lieutenant de réserve ; le 3e, de même. Les compagnies sont commandées, la 4e par un lieutenant de réserve, les 5e, 7e, 10e, 12e par des sous-lieutenants d’activé, les 1er, 2e, 3e, 6e, 11e par des adjudants, la 8e» par un sergent-major, la 9e» par un sergent.