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les mêmes excès de confiance en elle-même à toute infanterie neuve et qui pour la première fois affronte la mort ; peut-être cette excitation exaspérée est-elle, au début d’une campagne, pour une armée quelconque, la condition même de son entrée en ligne.

Pour tempérer la furia francese aussi bien que le furor teutonicus, il fallut que les deux infanteries eussent découvert ce qu’était désormais, servie par les engins modernes, décuplée par rapport à la guerre de 1870, la puissance du Feu.

Cette révélation formidable, l’infanterie française la reçut d’ailleurs la première, car c’est elle qui attaquait. Elle la reçut dès le 19 août, quand les Allemands, qui depuis cinq jours reculaient à dessein devant notre 1re armée, firent tête à Sarrebourg sur une ligne d’arrêt par eux choisie, organisée défensivement dès le temps de paix. Ils avaient chargé d’artillerie lourde les hauteurs au Nord-Est de Sarrebourg ; de même, la région Hommarting, Guntzwiller, Saint-Louis ; de même, Obersteigen ; et sur le terrain repéré à l’avance (une planchette de tir y fut trouvée), notre infanterie fut accablée par un ennemi resté invisible. Et c’est le même 19 août, par une destinée toute pareille, que, sur la Seille et le canal des Salines, l’infanterie de notre 2e armée, bombardée des hauteurs lointaines de Delme à Rodalbe et à Guéblange, apprit à redouter les « gros noirs » et la force souveraine des obstacles passifs. Mêmes expériences dans les autres armées, les jours suivants, à la « bataille des frontières. »

Or, c’est dans le désarroi de ces premières épreuves que notre infanterie, au lendemain de Charleroi, recevant soudain l’ordre de retraite générale, dut faire l’apprentissage de la défensive. Elle le fit en des conditions cruelles, car l’Allemand, qui attaquait, lui apprenait que la mitrailleuse peut servir même dans l’attaque, tandis que ceux de nos régiments qui furent chargés de couvrir notre repli n’avaient que rarement gardé leurs sections de mitrailleuses : elles avaient retraité plus vite, pour échapper à la capture. Il en résulta que, tout au long de la retraite, notre fantassin, à mesure qu’il apprenait à craindre davantage le feu de l’ennemi, perdait au contraire sa confiance en son propre feu : réduit à son fusil, il tirait nerveusement, avec frénésie, pour s’étourdir ; puis, sa cartouchière une fois vidée, et bientôt vidée, il se repliait.