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Quoi qu’il en soit, c’est ce projet que l’Allemagne essaya d’exécuter, contre notre attente. Or, aujourd’hui qu’il est loisible à chacun, à l’aide de documents tombés dans le domaine public, de dessiner sûrement sur la carte les zones de débarquement de toutes nos unités et de toutes les unités ennemies ; aujourd’hui qu’un croquis [1], reproduit à l’envi par les plus vulgaires journaux illustrés de l’Allemagne, montre à qui veut nos forces toutes concentrées face à la frontière commune, tandis qu’au Nord de cette frontière commune, autour de la voie ferrée de Cologne à Aix-la-Chapelle et à Liège, treize corps d’armée allemands s’amoncellent pour former l’aile marchante qui allongera vers Bruxelles, vers Mons, vers Amiens, vers Paris, sa courbe monstrueuse ; aujourd’hui que chacun voit à plein le plan de l’Allemagne, grandiose puisqu’il a failli réussir, absurde puisqu’il a échoué, en tout cas criminel, chacun voit aussi qu’il n’eût été du pouvoir d’aucun chef militaire, quelque génie qu’on lui suppose, d’y remédier, et que, notre plan de concentration, fondé sur le respect des traités, étant ce qu’il était, le plan de concentration ennemi, fondé sur le mépris de la foi jurée, étant ce qu’il était, la « bataille de Charleroi » ne pouvait être que ce qu’elle fut, une défaite, et dont la France, selon le calcul allemand, aurait dû périr.

Et chacun voit aussi du même coup que, placée dans la situation stratégique qui fut alors la nôtre, une infanterie quelconque, même mieux armée et mieux instruite que l’infanterie française ou que l’allemande, toute autre infanterie aurait subi le même sort. Par suite, marquer, comme nous faisions tout à l’heure, que ce sont après tout les mêmes régiments et les mêmes chefs, le même armement, le même système d’idées tactiques qui, mis en défaut à Charleroi, triomphèrent quinze jours plus tard sur la Marne, ce n’était pas assez dire : à Charleroi, ni notre armement, ni notre doctrine tactique ne furent vraiment en cause ; là, une hideuse surprise stratégique a joué seule.

Si donc c’est à l’œuvre qu’on connaît l’artisan, il n’est pas équitable de prendre de Charleroi son point de perspective. Sarrebourg, Virton, Charleroi, Guise, la Marne, le Grand-Couronné,

  1. On le trouvera, dessiné par le général baron von Freytas-Loringhoven, « Chef des stellvertretenden Generalstabes der Armee », dans le Militär Wochenblatt, n° du 9 août 1917, p. 466.