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caserne ou sur des champs d’exercice exigus, et quand ils sortaient de leurs garnisons pour les manœuvres d’automne, pourquoi les retenions-nous sur les routes, avec consigne de respecter les cultures ?

Certes, ces griefs sont graves. Mais, quand ils seraient tous fondés, ceux-là et beaucoup d’autres par surcroît, encore faudrait-il, pour en juger avec équité, se rappeler deux choses.

La première est que seule la guerre apprend la guerre et que l’armée française n’avait pas fait la guerre depuis quarante-trois ans, — L’armée allemande non plus, dira-t-on. — Aussi pourrait-on dresser un bilan non moins chargé des fautes et des insuffisances de son infanterie.

Puis, il conviendrait peut-être de ne pas oublier tout à fait que notre infanterie, refoulée le 23 août à Charleroi et autres lieux, fut victorieuse sur la Marne, quinze jours seulement plus tard. Qui explique Charleroi par les susdites fautes et insuffisances se doit d’expliquer la Marne par les mêmes causes, — ce qui veut dire que nos revers du mois d’août 1914 ne sont pas imputables particulièrement à notre infanterie, ni à telle ou telle des lacunes de notre préparation militaire, mais d’abord et bien plutôt à un petit fait, à quoi il faut toujours revenir, sous peine de ne rien comprendre à rien, le guet-apens de Belgique, la machination soigneusement combinée outre-Rhin par une foule de chefs militaires et politiques et applaudie, quand elle se dévoila, par le peuple allemand tout entier, la traîtrise qui, jetant au Nord de la Meuse une énorme masse de manœuvre allemande, devait fatalement entraîner pour quelques jours l’enveloppement de notre ordre de bataille.

Il n’est ni de notre dessein ni de notre pouvoir de déterminer si l’État-Major français avait étudié à l’avance ce projet d’invasion ennemie par le Nord de la Meuse. Peut-être l’avait-il anciennement prévu, mais écarté de ses prévisions comme démesuré, comme contraire à la raison, comme trop dangereux diplomatiquement, comme inexécutable militairement (faute d’effectifs suffisants), comme propre en un mot, si l’Allemagne commettait la folie de s’y arrêter, à la conduire, à travers des succès éphémères, vers l’abîme : auquel cas ce ne serait pas l’Etat-Major français, mais l’allemand qui, tout compte fait, aurait calculé faux.