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Mme Simone joue le rôle de Rosette avec beaucoup d’élan et de grâce nerveuse. Elle est, à vrai dire, la seule à signaler dans une interprétation dont l’ensemble est tout à fait quelconque.


Vous entrez dans une salle de théâtre. Vous avez devant vous la scène réunie à la salle par un double escalier ménagé côté cour et côté jardin. La toile se lève. Alors, comme mue par un ressort, se déclenche une invraisemblable, folle, ahurissante sarabande qui, de tout le spectacle, ne va plus s’interrompre, emportant choses et gens, désormais incapables de s’arrêter, dans un incoercible tourbillon de mouvement perpétuel. C’est d’un bout à l’autre de la salle un va-et-vient, une course, un chassé-croisé, et des escalades, et des bousculades, et des dégringolades, un remue-ménage, un tohu-bohu, des bondissements, des hennissements, des sauts de carpe et des cris d’animaux. Vous vous demandez : « Où suis-je ? Cette salle a-t-elle été louée par des farceurs anglais, pour s’y livrer en liberté aux délices de la gigue nationale ? Suis-je au cirque et tous les clowns du monde de la clownerie ont-ils été réquisitionnés pour y exécuter une acrobatie monstre ? Suis-je dans un asile d’aliénés ? Et tous ces pauvres gens que je vois, recouverts d’oripeaux, aller, venir, courir, bondir, monter, descendre, sauter sur les meubles, ou se grimper sur les épaules, sont-ils des agités, atteints d’une incurable danse de Saint-Guy ?... « Vous êtes au Théâtre-Antoine, — et vous assistez à une représentation de Molière.

M. Gémier à qui nous devons ce spectacle, a, sur la façon dont il convient de représenter les chefs-d’œuvre, des idées qui lui sont particulières. Qu’il s’agisse de Shakspeare ou de Molière, peu importe : le système vaut pour tous les temps et il est bon pour tous les pays. Le principe en est que le texte ne compte pas, n’a pas lui-même aucune importance ; il n’est qu’un point de départ ; il sert seulement à mettre en mouvement l’imagination du metteur en scène qui désormais se donne libre carrière. S’il lui prend fantaisie d’ajouter un intermède auquel l’auteur n’avait pas songé, quelle considération pourrait l’en empêcher ? N’est-ce pas un service à rendre au poète, qui n’a pu penser à tout et serait sans doute bien aise de profiter des derniers progrès des inventions dernier cri ? Dans Antoine et Cléopâtre, M. Gémier avait introduit tout un tableau, l’orgie, qui n’existe pas dans Shakspeare. Et c’était un des clous de la représentation ! Preuve que de Shakspeare et de M. Gémier, c’est M. Gémier qui avait raison. Après Shakspeare, c’est au tour de Molière d’être