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trouve des camarades. Un jour de tristesse, il écrivait à François Buloz : « Je n’aurais jamais dû donner mon avis sur rien, ni sur personne. La franchise, plume en main, est un vice irrémédiable, qui engendre des haines terribles. Blâmer, toujours blâmer, j’ai l’air d’un fou !.. » Mais, un beau jour, il fit un héritage : il eut trente mille francs, les mit dans un sac et partit pour l’Italie ; c’était la première fois de son existence qu’il fût libre. En voyage, il prenait dans son sac les petites sommes qu’il lui fallait, cinq ans de suite. Après quoi, le sac étant vide, Planche revint à Paris, pour gagner son pain comme autrefois, et recommença de se faire à chaque instant des opinions. Quand il approcha de la cinquantaine, il était extrêmement las, marchait avec difficulté, refusait tous les soins. Buloz aurait voulu le placer à Boulogne dans une maison de santé : mais lui se laissait mourir et, plutôt que de céder aux sollicitations de son ami, se cachait, ne venait presque plus à la Revue ; et l’on ne savait seulement plus son adresse. Buloz eut à le chercher, à le découvrir, pour le faire enfin porter à la maison Dubois : « Je le confiai à un médecin que je connaissais là, écrit Buloz à Mme Sand ; mais, dès ma première visite, on ne me laissa aucun espoir. C’est ainsi que je me suis vu hors d’état de rien faire d’efficace pour l’homme vraiment rare que j’aurais voulu conserver aux lettres... Nos rangs s’éclaircissent, mon cher George ! » Il y a là de la tendresse ; et il faut noter aussi le souci des lettres, que marque Buloz : littérature et amitié sont les deux passions qu’il avait le goût de réunir et qu’il a servies constamment.

Il écrivait à George Sand, sur la mort de Gustave Planche, peu de mois après la mort de Musset, qui était son enfant gâté. A celui-là, il pardonnait tout, même ce qu’il pardonnait le moins volontiers, la paresse. C’est à Buloz que Musset dédia le poème Sur la paresse. Les Contes d’Espagne et d’Italie ayant plu, et Sainte-Beuve ayant dit : « Nous avions un enfant de génie parmi nous, » on attendit le poète à son deuxième volume ; on le guetta : et le Spectacle dans un fauteuil fut accueilli comme ceci. On lut dans les Débats : « Les Contes d’Espagne et d’Italie, que M. de Musset publia presque au sortir du collège, accusaient en lui une verve chaleureuse, un goût assez peu formé, quelques intentions poétiques... » Mais le Spectacle ?... « M. de Musset devait s’attendre à trouver des juges... M. de Musset, à nos yeux, n’est qu’un poète médiocre... » Ses poèmes ? « c’est, je crois, le nom qu’on donne à ces compositions : » de la» poésie rocailleuse qui ressemble furieusement à de la mauvaise prose. « L’article des Débats est de Jules Sandeau, ce précurseur, en quelque sorte, mais