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me sentir perdu comme C... s’est senti perdu lui-même ? J’écrirais ces quelques lignes et je les distribuerais à mes amis :

Dans mes projets d’avenir, j’ai rêvé de travailler pour Dieu et pour mon pays, j’ai imaginé une France plus grande, rendue à sa foi et à sa gloire, forte pour l’avenir. Mon ambition a été de consacrer toute ma vie, une longue vie, à cette œuvre, et voilà que Dieu m’arrête alors qu’il me fallait beaucoup d’années... Vous qui m’avez connu et qui me survivrez, travaillez à accomplir cette œuvre à laquelle je m’étais voué et que Dieu ne m’a pas laissé entreprendre : sauvez la France, vous le pouvez si vous le voulez.


Sauver la France, même aujourd’hui, dans la victoire présente, l’œuvre demeure à accomplir : réparer les ruines, les désastres, les pertes, refaire de la vie, des hommes, de la santé, recréer de l’ordre et du bonheur dans un travail fécond, corriger les idées funestes dont nous avons pensé mourir, les travers, les défauts de méthode et de discipline qui nous ont coûté si cher ; reconstituer partout les forces essentielles, le foyer, la famille, le métier, la région ; honorer les grandes choses, conserver dans la paix l’accord, l’union sacrée des cœurs et des bonnes volontés qui nous ont conduits au triomphe ; ne pas écouter les conseils de la vanité et de l’insouciance qui justifieraient par le succès nos anciennes erreurs et nos vieilles folies ; faire une grande amitié laborieuse et vivante de tous les Français, renoncer aux querelles stériles, réveiller les provinces engourdies, ranimer le grand goût de l’énergie et de l’action, le sens de l’entreprise et du commandement, — n’y a-t-il pas là de quoi remplir les plus belles ambitions ? N’est-ce qu’un rêve ou qu’une chimère ? La France dans le bonheur vaudra-t-elle moins que dans l’épreuve ?

Certes, la tâche est immense, mais écoutons encore une dernière fois Clermont-Tonnerre. Il traverse Baltimore quelques semaines après l’incendie. Il voit déjà la ville renaître de ses cendres. « Admirons en passant, écrit-il, admirons ce magnifique côté du caractère américain qui, sans s’attarder à pleurer sur le passé, se redresse et regarde l’avenir avec confiance. Baltimore surgira plus belle et cette catastrophe aura été une bénédiction. Cecidi, sed surgam : admirable enseignement, ajoute-t-il, pour nous autres, et comme il est réconfortant si on le médite sur les ruines qui s’entassent en ce moment dans notre chère France ! »