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terrassé à coups de crosses. Et ces pieux récits étaient une manière encore de se donner le change et d’ajourner l’évidence.

C’est le lendemain seulement que la vérité fut connue. Ce jour-là, à midi, en dépit des pertes et de la fatigue, il fut décidé que les zouaves reprendraient l’offensive pour briser définitivement l’élan de l’adversaire.

L’attaque réussit au delà de toute espérance. Les zouaves étaient épuisés, mais ils avaient à venger leurs morts. Le commandant de Clermont-Tonnerre semblait, d’où il était, les appeler au combat et mener encore l’assaut furieux des survivants.

Le zouave Beve, de la 5e compagnie, reconnut le corps le premier. Il fallait marcher et il passa.

Il reposa encore tout le jour sur le terrain, auprès de l’adjudant Croci, tué par le même obus. Le caporal Moreau respirait encore et put sourire à notre succès. Il n’eut que la force de dire que le commandant était mort sur le coup, sans souffrance, et il succomba presque aussitôt à ses blessures. Clermont-Tonnerre demeura ainsi jusqu’au soir entre ses compagnons, dans l’attitude que souhaitait un poète de Saint-Cyr, dont il rappelait les vers dans un de ses plus beaux discours :


Heureux le cavalier qui dort son fier sommeil
Dans l’herbe fine, un soir de bataille gagnée !...


Le soir, au château de Sorel, qui réunissait les P. C. du régiment et de la brigade, un zouave se présenta militairement. Il tenait à la main un sac de terre, un de ces sacs de toile grossière qui servent aux tranchées.

« Mon colonel, dit-il, voici les reliques du commandant de Clermont-Tonnerre. »

Les reliques... Il voulait dire exactement les restes, les souvenirs. Mais le mot imprégné d’un sens religieux, venu spontanément aux lèvres du soldat, son attitude mêlée de tristesse et de fierté, exprimaient la vénération : la mort après une telle vie n’était que la consécration de l’héroïsme et de la sainteté..

Le corps reposait sur un brancard dans une voiture d’ambulance. Indépendamment de la nuit et du cadre de la bataille, la