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Boulogne-Ia-Grasse et aux lisières de Couchy, en prenant aux Allemands des prisonniers et des mitrailleuses. Le soir de cette magnifique journée, le commandant de Clermont-Tonnerre écrivait à son fils, pour lui faire compliment des bonnes notes qu’il avait eues, ce rapide bulletin de victoire : « Je t’écris en plein combat pour te dire que je suis aussi content de toi que de mes zouaves. Sois-en fier. » Ce furent les derniers mots qu’il adressa aux siens. Tel il fut jusqu’au bout, héroïque, gracieux, aimable. Et il est beau que sa dernière parole exprimée ait été un mot à celui qui devait continuer la race, un mot de devoir et de tradition.

A partir de ce moment, il se perd à nos regards et s’enveloppe dans les ombres du mystère auquel il appartient. Nous ne connaissons pas le secret de sa dernière veille. Aucun pressentiment, semble-t-il, n’effleura son âme. Sa nuit suprême fut une nuit militaire, commune, de la même étoffe simple et rude que les précédentes. Elle fut, du côté de l’ennemi, particulièrement calme. Nos canons parlaient seuls et écrasaient Boulogne-la-Grasse, afin d’en écarter les rassemblements allemands. Leurs feux vigilants protégeaient nos lignes minces et déjà exténuées par deux jours de combats. On pouvait s’attendre à un retour offensif de l’adversaire. Comment celui-ci supporterait-il l’arrêt et le recul des dernières journées ? Il fallait prévoir une riposte pour le lendemain, et le silence de la nuit la laissait présager violente. Ainsi la nuit se passa dans les apprêts d’une veillée d’armes, pour la défense des conquêtes de la journée.

En effet, les Allemands dépités de notre agression imprévue, s’apprêtent de leur côté à un nouvel effort. Ils ont appelé en toute hâte une division de la Garde, — une vieille connaissance des zouaves, leur ancienne partenaire d’Hurtebise et de la Malmaison. La nouvelle bataille ramène les champions en présence. C’est la quatrième division à laquelle la division de Salins va avoir affaire en quatre jours. Le choc est rude. Nos troupes, déjà affaiblies par leur victoire et par leurs pertes, tiennent des fronts demeurés de douze cents mètres par bataillon. Elles ont eu quelques heures à peine pour commencer une ébauche d’organisation. Elles n’ont plus une compagnie de réserve en arrière. C’est dans ces conditions qu’il faut subir l’assaut d’une masse compacte et fraîche, d’une troupe d’élite à qui on a promis Paris.