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équivoques ; de faux bruits se répandaient avec une rapidité suspecte ; des rumeurs faisaient circuler des chiffres de pertes démesurées, les pires nouvelles trouvaient crédit et s’amplifiaient encore dans cette fantasmagorie sombre. Des tracts ténébreux se trouvaient dans les paquetages des hommes. Le commandant de Clermont-Tonnerre réussit à sauver ses enfants, à écarter d’eux les tentateurs, à tendre autour d’eux un cordon sanitaire. Pendant vingt-deux nuits, à l’heure où se chuchotaient les sales conseils, où la capitulation s’insinuait à la faveur de l’ombre, il veilla, fit bonne garde autour de son troupeau. Tous les zouaves demeurèrent fidèles.

Ce sera l’honneur de Pétain qui prit le commandement dans ces circonstances difficiles d’avoir charmé le mauvais esprit, exorcisé le démon, chassé le génie des ténèbres. Tout en continuant à se battre et à mener la rude défense des Monts de Champagne et du Chemin des Dames, il eut l’art de reprendre l’armée effarouchée, de la ramener par la douceur dans la discipline et le devoir. En peu de mois, il refait le moral de l’armée, la préparant de longue main pour les épreuves futures dont il prévoit l’échéance et qu’il sent d’avance terribles. Dès le mois d’août, il peut entreprendre quelques actions limitées, d’une exécution impeccable, achevant de rendre aux troupes la confiance par le succès. En octobre, il décide de mettre un point final au carnage de l’Aisne en rejetant d’un coup les Allemands derrière l’Ailette : c’est la bataille de la Malmaison.

Le régiment, à cette époque, avait perdu son ancien chef, le colonel Richaud, promu à un commandement de brigade. Son nouveau commandant, le lieutenant-colonel Besson, officier distingué, brillant, avait pris pour adjoint le commandant de Clermont-Tonnerre. Ce fut donc pour notre ami une bataille d’un nouveau genre, bataille souterraine, dans une cave, au bout d’un fil de téléphone, abstraite, austère, ingrate, sans la gloire du soleil et l’ivresse du péril défié au grand jour. Un témoin, le commandant Henry Bordeaux, qui a suivi toute l’action, tantôt avec les troupes d’assaut, tantôt dans le poste du colonel, nous fait assister à cette double bataille : celle de la surface, sur la terre bouleversée et sous les rafales des barrages, et celle de l’intérieur, sans images, sans aucune apparence sensible, toute en pensée et en pathétique cérébral. Dehors, à quelques pas, le poste de secours. Encombrement de blessés, que des