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André, renonçant à la cour et tenant à Pierre Besoukhow, à la veille de Borodino, des paroles désabusées...

Mon ami n’accusait personne. Il n’y avait chez lui ni colère, ni rancune, à peine une nuance de pitié au sujet de la présomption et du néant des hommes. Leurs desseins, leurs projets, leurs plans, quelle fragilité ! Jamais mon ami ne m’avait paru plus haut qu’en ce moment. Il parvenait aux cimes de la sérénité et du détachement. Il n’était point surpris de souffrir.

— Quoi d’étonnant, me disait-il, que le salut de la France coûte cher et qu’il faille payer de tant de douleurs sa victoire et son relèvement ?

Plus tard, en feuilletant ses papiers, je trouvai une petite Imitation française qui portait encore une date de mai 1889, une date de première communion ; le livre avait beaucoup servi ; plusieurs passages étaient soulignés au crayon. C’étaient tous ceux qui commentaient le Fiat voluntas tua, tous les passages sur l’utilisation de la douleur.

« Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce et à l’aimer pour Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous avez trouvé le Paradis sur la terre. »

Et je me souvins alors de ce champ de chaume où nous nous promenions côte à côte, par cette soirée mélancolique du printemps de 1917, tandis qu’à quelques lieues de nous la guerre, dans son nuage de fumée opiniâtre, forgeait des destins inconnus sur l’enclume tragique d’Hurtebise.

Clermont-Tonnerre trouvait d’ailleurs, au milieu de cette crise, un point d’appui solide dans l’accomplissement de son devoir d’état. Comme toujours, le métier, avec ses préoccupations précises, lui apportait le secours et le bienfait de la diversion. Le commandement d’un bataillon est une chose fort différente d’un commandement de compagnie. Cette vie nouvelle, ce nouveau genre de responsabilités passionnent Clermont-Tonnerre. Il s’y montre tout de suite un officier d’élite.

Mais les hommes ont-ils ce soutien de vie surnaturelle ou cet intérêt du métier et de la tâche à accomplir ? On se rappelle cet accès de découragement, ce souffle pessimiste qui s’emparèrent des troupes après les événements d’avril. Des désordres éclatèrent. S’agissait-il de phénomènes spontanés et de réactions collectives, de ces accidents communs de l’âme inquiète des multitudes ? A ces causes naturelles s’ajoutaient des menées